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L’affaire Tapie-Crédit Lyonnais : le début de la fin 

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Publié le 07/28/2017
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L’arrêt de la Cour de Cassation : Affaire Tapie-Crédit Lyonnais  

Cour de Cassation, chambre commerciale, financière et économie, pourvois n°15-2.683, n°16-10.339, et n° 16-10.344

Retour sur le volet financier de l’affaire

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 mai dernier semble apposer le point final à un roman judiciaire entamé il y a plus de deux décennies. Mais qu’en est-il vraiment ?

Annulation de l’arbitrage

Bien qu’abondamment commenté, notamment par la presse, l’arrêt rendu par la Cour de cassation se situe dans la droite ligne de celui-rendu le 30 juin 2016, qui validait l’annulation de l’arbitrage prononcé par la Cour d’appel de Paris le 17 février 2015. Les juges du quai de l’Horloge, en rejetant les derniers recours introduits par la défense de Bernard Tapie, le contraignent à rembourser les 404 millions d’euros perçus suite à l’arbitrage privé du 11 juillet 2008.

Tout commence en 1993. Bernard Tapie est alors ministre, jusqu’en mars 1993. Il possède entre autres sociétés Adidas. L’Elysée craint le conflit d’intérêts, et le scandale politico-financier. Il faut dire que le nom de Tapie évoque déjà quelques démêlés judiciaires, lui qui avait eu à s’expliquer d’un abus de biens sociaux devant la justice. Il est donc décidé qu’Adidas sera revendu, grâce au Crédit Lyonnais, par l’intermédiaire d’une des filiales de la banque.

La transaction est conclue pour 2,85 milliards de francs (472 millions d’euros). Le montant est conforme à la volonté de l’homme d’affaires. Mais le vent tourne et Tapie, mis en faillite personnelle l’année suivante, doit rebondir. Si les ressources financières sont rares, les ressources juridiques abondent : le Crédit Lyonnais a, grâce à une opération financière opportune, réalisé une plus value de 2,6 milliards de francs grâce à la société Adidas. Tapie crie au loup, et est entendu. En 2005, il obtient 145 millions d’euros des tribunaux. L’Etat, disposant pourtant de recours juridiques, décide en 2007 de recourir à un arbitrage privé.

Un décision politique ?

Cette décision semble à tout le moins politique. L’arbitrage n’a ni les faveurs de l’Agence des participations de l’Etat, organe rattaché à Bercy, ni celles de l’avocat de Bernard Tapie. Le 11 juillet 2008, la sentence rendue par Pierre Estoup (magistrat honoraire), Pierre Mazeaud (professeur de droit) et Jean-Denis Bredin (avocat d’affaires) oblige l’Etat au versement de 403 millions d’euros à Bernard Tapie, dont 45 millions au titre du préjudice moral subi. Cette somme est en effet due par le Consortium de réalisation (CDR), organe ad hoc créé en 1993 à la suite de la quasi-faillite de la banque, qui est chargé d’apurer le passif de la banque, publique jusqu’en 1999. La somme est donc indirectement due par l’Etat qui, étonnamment, renonce à ses facultés de recours.

En juin 2013, la nouvelle administration décide de contester la sentence rendue en 2008. Le 17 février 2015, l’arbitrage est annulé par la Cour d’appel de Paris. Les 403 millions d’euros perçus par Bernard Tapie sont privés de leur fondement. Le 3 décembre de la même année, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur l’existence d’un préjudice financier pour Bernard Tapie, du fait de l’opération financière conclue par le Crédit Lyonnais en 1994. Non seulement l’arbitrage a fait long feu, mais l’existence du préjudice est contestée par la justice.

Ces revers judiciaires ont été confirmés par des arrêts de la Cour de cassation, respectivement en date du 30 juin 2016 et du 18 mai 2017, qui valident l’annulation de l’arbitrage et rejettent les derniers recours formés par Bernard Tapie.

Si la condamnation à la restitution de près de 440 millions d’euros par Bernard Tapie est définitive, le remboursement effectif de ces sommes semble aujourd’hui illusoire. Nombre des biens immobiliers de Bernard Tapie sont la propriété de sociétés domiciliées dans des paradis fiscaux, et dont les parts sont majoritairement détenus par sa femme, Dominique Tapie. La justice a néanmoins réussi à saisir près de 170 millions d’euros d’actifs. Mais ces derniers ne sont pour l’heure pas accessibles, les sociétés qui les détiennent étant aujourd’hui en procédure de sauvegarde. Bernard Tapie est quant à lui en liquidation judiciaire : le sort de son patrimoine est entre les mains du Tribunal de commerce, sa décision conditionnant le remboursement de l’Etat, créancier réaliste, à défaut d’être résigné, sur l’issue des procédures en cours.

La mise en œuvre récente de l’action publique 

Si le volet privé de l’affaire semble aujourd’hui clos au plan national, dans l’attente des décisions concernant les avoirs de l’homme d’affaires – la défense de Bernard Tapie n’excluant pas, par ailleurs, des recours devant les juridictions supranationales à propos de l’arbitrage -, la situation est tout autre au plan pénal. En effet, en 2008, la sentence déclenche une polémique politique, alimentée par l’opposition. Ainsi, la Commission des finances de l’Assemblée nationale auditionne les protagonistes, la Cour des comptes publie un rapport mettant en cause la gestion du dossier par le président du CDR, et des recours sont introduits devant le Tribunal administratif par certains responsables politiques, tous déboutés dans un jugement rendu le 9 octobre 2009.

La Cour de justice de la République finit par se saisir de l’affaire, et entend Christine Lagarde à propos d’un potentiel délit de « complicité de faux et détournement de fonds publics. » Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie, à ce titre en charge de la question, arguera des faibles chances de succès dont il lui a été fait état par des conseillers juridiques. Jugée depuis, elle est reconnue coupable de négligence le 12 décembre 2016 par la Cour de justice de la République, tout en étant dispensée de condamnation.

D’aucuns ont cru voir dans cet imbroglio politique la main de la présidence de la République de l’époque, argument non étayé par l’enquête diligentée sous la direction du pôle financier du TGI de Paris depuis 2012. Cette instruction a conduit pour l’heure à la mise en examen de différents protagonistes. Pierre Estoup, Stéphane Richard (directeur de cabinet de Christine Lagarde à l’époque, actuel PDG de la société Orange), Maurice Lantourne et Bernard Tapie sont ainsi poursuivis pour escroquerie en bande organisée. A ce premier chef s’ajoute celui de « détournement de fonds publics » pour Bernard Tapie, certains des acteurs centraux de cette affaire étant eux poursuivis comme complices de cette infraction. Aucun jugement n’est pour l’heure intervenu.

L’issue de cette procédure paraît aujourd’hui bien incertaine. Cette affaire concentre, à son corps défendant, plusieurs des turpitudes dénoncées par l’opinion publique actuelle, et dont la presse se fait l’écho : complicité de la sphère politique avec le monde des affaires, arrangements douteux, détournement de fonds publics, etc. Il est à souhaiter qu’il puisse être mis fin à ce dossier qui, depuis trop longtemps déjà, empoisonne le débat public.

 

 

 

 

 

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