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Le plaider-coupable français, un pas vers le système du plea bargaining américain ?

Écrit par Philippe Bruzzo
Publié le 12/11/2020
5 minutes

Vous avez commis une infraction, vous le reconnaissez lors des auditions et on vous délivre à la sortie du commissariat une convocation en vue d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).

Quelle est la place de l’aveu aujourd’hui en France ? Et quelle contrepartie peut-on attendre d’un tel aveu ?

Suite à l’implantation hasardeuse et progressive de la CRPC, ainsi qu’à l’élargissement récent de son domaine d’application, il semble opportun de s’interroger sur un possible empiètement du système pénal américain en France.

Le modèle traditionnel du plea bargaining américain

Aux États-Unis, le plea bargaining (aussi appelé le « negotiated plea ») est une procédure transactionnelle s’inscrivant dans le cadre d’une recherche de l’efficience et de l’efficacité dans la répression. On estime aujourd’hui que 90% des affaires pénales américaines se concluent sur la base d’un aveu de culpabilité.

Le plea bargaining est plus précisément un aveu de culpabilité précédé d’un marchandage sur la peine. En effet, il s’agit d’un accord négocié entre un procureur et un accusé aux termes duquel l’accusé plaide coupable pour une infraction moindre en échange d’une concession par le procureur qui s’engage à demander une peine moins sévère ou l’abandon d’un chef d’accusation. De par cet accord, les deux « parties » renoncent à leurs prérogatives : le procureur renonce à demander la peine maximale prévue par la loi, et le mis en cause renonce à un procès avec jury ainsi qu’aux droits de la défense qui y sont attachés. La procédure se clôture par l’homologation de la convention par le juge.

Par le mécanisme du plea bargain est ainsi prévue une remise de peine au prévenu en échange de son aveu. Aux États-Unis, cette procédure s’applique à toutes les infractions ; c’est-à-dire aussi bien en matière de crime que de délits, ou contraventions. C’est le modèle de référence pratiqué dans la justice pénale américaine qui a inspiré les États européens comme l’Italie avec son « pattegiamento », la Belgique avec sa transaction pénale, mais aussi et surtout la France avec sa comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).

Peu à peu, l’apparition d’un « aveu de culpabilité » dans la procédure pénale a séduit les systèmes judiciaires européens. Le Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a notamment admis qu’une telle alternative aux poursuites n’était pas contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) dans son arrêt DEWER c. Belgique en date du 22 février 1980.

Le plaider coupable à la française 

La France a été séduite dès 1999 par le principe du plaider coupable américain, et a fait émerger la procédure de la composition pénale. Dès son instauration, des auteurs n’ont pas hésité à qualifier cette nouvelle procédure de « plea bargaining à la française » du fait qu’elle permettait déjà au délinquant qui reconnaissait les faits, d’accepter la sanction proposée par le procureur de la République et d’éviter ainsi un procès. Cette procédure ne concerne aujourd’hui toutefois que les infractions de faible gravité et doit être engagée avant l’ouverture d’une instruction ou la convocation devant le tribunal.

Pour intensifier la répression pénale et combler les lacunes en la matière, la France a institué la procédure de la CRPC par la loi du 9 mars 2004. Aussi appelée « plaider coupable » à la française, cette procédure se rapproche à l’évidence du plea bargaining américain en ce qu’elle implique une reconnaissance totale de la culpabilité. De par cette procédure de jugement de délits, le prévenu majeur accepte, sur proposition du procureur de la République ou à sa demande, de reconnaître sa culpabilité avant de comparaître devant la juridiction de jugement moyennant l’assurance d’une recommandation de peine indulgente du procureur en vue d’une homologation.

Le mis en cause doit être poursuivi pour un délit. Les crimes et les contraventions sont donc pour l’instant exclus de la procédure. D’autres délits spécifiques tels que les agressions sexuelles, les homicides involontaires, les délits de presse et les délits politiques, ne peuvent pas non plus faire l’objet d’un plaider-coupable. Dans la mesure où la CRPC s’applique normalement aux affaires prêtes pour jugement définitif, la durée moyenne de cette procédure ne dépasse pas 5-6 mois. Le besoin d’efficacité et de procédure rapide peut être observé lors de la lecture des statistiques du ministère de la Justice puisque l’utilisation de la CRPC a augmenté de 6% ces dernières années.

Une procédure de simplification au détriment d’un procès équitable

Le plea bargaining s’inscrit dans une logique de négociation. Le risque est alors réel et sérieux quant aux potentielles dérives puisque ces négociations peuvent aboutir à la condamnation de personnes innocentes.

La France, pays des droits de l’Homme, est moins exposée à ces risques de dérives. Toutefois, l’élargissement progressif du champ d’application de la CRPC interroge : il a été récemment étendu à presque tous les délits, et plus précisément aux infractions passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement, et à l’issue de la procédure, il peut être infligé une peine maximale d’un an d’emprisonnement. De plus, la décision du procureur de la République, prise en dernier ressort, est totalement discrétionnaire et n’a pas à être motivée. Sa décision d’ailleurs, n’a pas à être transmise au prévenu ou à son avocat.

Les divers aménagements de cette alternative aux poursuites pénales et l’élargissement progressif de son domaine d’application vont dans le sens d’une installation durable de cette procédure. La pression sur l’accusé peut toutefois être problématique. Lorsqu’un aveu entraîne une condamnation à une peine moins sévère ou lorsqu’il n’implique pas une peine privative de liberté, il y a un risque de basculer dans une tendance à la négociation créant ainsi une focalisation disproportionnée et inacceptable sur la procédure aux dépens des droits de l’accusé.
Si la loi interdit de faire état de la procédure de CRPC lorsque la personne n’a pas accepté la ou les peines proposées, ou lorsque le magistrat compétent n’a pas homologué la proposition du procureur de la République, il n’en va pas de même en cas d’appel formé contre l’ordonnance d’homologation.

En cas d’échec de la procédure de CRPC, tout ce qui s’est dit à cette occasion est réputé ne plus exister pour garantir l’objectivité de la suite de la procédure (Crim. 16 avr. 2019, FS-P+B+I, n° 18-83.059). Or, la personne qui fait finalement appel après avoir accepté la procédure se trouve dans une situation assez similaire. La reconnaissance de culpabilité pouvant être considérée comme acquise par la juridiction statuant en appel, il est difficile de considérer qu’il existe véritablement un « droit de rétractation », soit une voie de recours efficace.

Il convient ainsi de s’interroger sur la conformité de cette solution aux droits de la défense et au droit à un recours effectif tels qu’ils sont garantis par la CEDH.

S’il est vrai que le législateur français a été largement influencé par la procédure américaine d’aveu de culpabilité, les alternatives aux poursuites pénales telles que la CRPC visent à simplifier et à accélérer le processus devant le tribunal correctionnel. Cette procédure contient autant d’avantages que d’inconvénients, puisqu’elle s’inscrit dans une justice dite « acceptée », dont le traitement atteint des délais records pour des infractions de faible gravité, mais bafouant toutefois les règles tant affirmées d’un procès équitable.

 

Photo by Christian Lue on Unsplash

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