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Un retour au vestiaire amer pour l’avocat mandataire sportif

Publié le 03/31/2023
8 minutes

Digne de la Ligue des champions, le contentieux entre l’Ordre des avocats de Paris et l’Union des agents sportifs du football (UASF) a connu deux matchs aller-retour bien disputés. Ainsi, après un arbitrage jugé sévère devant la Cour d’appel, la Cour de cassation est venue rejeter les deux pourvois formés à son issue.  

La Cour de cassation (Cass, 1° civ, 29 mars 2023 21-25.335[1]) confirme donc que « l’avocat ne peut, tant à titre principal qu’à titre accessoire, exercer l’activité d’agent sportif ». Bien au-delà de cette simple affirmation, ces décisions viennent remettre en question l’existence même de la profession d’avocat mandataire sportif.

I.       Un nouveau joueur sur le terrain à la genèse du litige 

Avec l’accroissement d’enjeux juridiques et financiers toujours plus importants dans le monde du sport, un besoin de professionnalisation et de moralisation de la profession d’agent sportif s’est justement posé. C’est dans ce cadre que la loi 9 juin 2010[2] a été adoptée afin d’encadrer cette profession et interdire certaines pratiques douteuses.

Dans le même temps, le rapport de la Commission Darrois[3] – remis le 8 avril 2009 au président de la République – constitue l’un des derniers maillons de l’expansion continue de la profession d’avocat. Dans le prolongement de ce rapport, le législateur a été saisi d’une proposition de loi destinée à permettre aux avocats de représenter un sportif, en qualité de mandataire, pour la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive, activité jusqu’alors gouvernée par le seul article L. 222-7 du code du sport, conférant un monopole aux agents sportifs. 

La loi n° 2011-331 du 28 mars 2011[4] est ainsi venue insérer, dans la loi du 31 décembre 1971, un article 6 ter disposant en son alinéa 1 que « Les avocats peuvent, dans le cadre de la réglementation qui leur est propre, représenter, en qualité de mandataire, l’une des parties intéressées à la conclusion de l’un des contrats mentionnés au premier alinéa de l’article L. 222-7 du Code du sport ». Premier but pour les avocats, le monopole des agents sportifs avait cédé.

Plusieurs objectifs de professionnalisation du secteur, de sécurisation des contrats et de moralisation des professionnels apparaissaient alors clairement au sein des débats parlementaires.

L’apparition de la casquette de mandataire sportif n’était donc que l’aboutissement d’un long sillage d’extension de l’activité d’avocat entamé dans les années 1970, couplé au besoin d’accompagnement et de sécurité émis par les acteurs du sport.

Si les deux professions étaient vouées à cohabiter afin d’assainir le secteur du sport, cette extension perpétuelle et sans fin a fait naître chez les agents sportifs un sentiment de concurrence. 

De surcroît, cet élargissement de la profession d’avocat ne s’est pourtant pas arrêté là. En effet, en application de la loi Macron du 6 août 2015, le décret n° 2016-882 du 29 juin 2016 est venu modifier l’article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ouvrant ainsi aux avocats la possibilité d’exercer des activités commerciales accessoires, dites « activités dérogatoires ».

Cette concurrence a gagné en intensité à la suite de la délibération du 2 juin 2020 du conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Paris qui rajoute au règlement intérieur du barreau de Paris un article P. 6.3.0.3 libellé comme suit : 

« L’avocat peut en qualité de mandataire sportif, exercer l’activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d’un contrat, soit relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, soit qui prévoit la conclusion d’un contrat de travail ayant pour objet l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement. L’avocat agissant en qualité de mandataire sportif ne peut être rémunéré que par son client. Cette activité doit donner lieu à une convention écrite qui peut, le cas échéant, stipuler que le joueur donne mandat au club sportif de verser en son nom et pour son compte à l’avocat, les honoraires correspondant à sa mission ». 

Si c’en était trop pour l’équipe des agents sportifs, cet avis était partagé par les hommes en noir. Tel un arbitre, le ministère public est venu siffler la fin de la mi-temps et demander l’annulation de cette délibération.

II.      Carton rouge pour les avocats mandataires sportifs

A/ Carton jaune pour la mise en relation des parties

En premier lieu, la Cour se penche sur l’exercice par l’avocat mandataire sportif de l’activité d’intermédiaire en matière de contrats sportifs. La question principale est évidemment celle de savoir si les avocats doivent être, du fait de l’interdiction de toute activité commerciale édictée par l’article 111 du décret du 27 novembre 1991, exclus de l’activité de mise en relation des parties. 

Les conseils des avocats mandataires sportifs mettaient quant à eux en avant que, par application de la hiérarchie des normes, l’interdiction des activités commerciales édictées par décret était outrepassée par la loi du 28 mars 2011. En ce sens, interpréter restrictivement la loi pour veiller au respect dudit décret apparaitrait comme un non-sens juridique.

Saisie de cette question, la Cour d’appel (CA Paris, 4, 13, 14 oct. 2021, n°20/11621[5]) est venue trancher cette problématique au travers d’un raisonnement en plusieurs volets. 

Tout d’abord, la Cour qualifie de « courtage » l’activité de mise en relation d’un sportif et d’un club en vue de la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive. Elle rappelle à ce titre que le courtage est une activité « par nature commerciale ».

Elle énonce ensuite que l’ensemble des activités commerciales sont interdites aux avocats dès lors qu’il s’agit d’une activité qui n’est pas accessoire, mais principale. À ce titre, la Cour d’appel indique que « la mise en relation des joueurs et des clubs constitue une mission principale », sans détailler davantage.

De ce raisonnement par étapes, la Cour en conclut que les avocats ne peuvent mettre en relation sportifs et clubs dès lors qu’il s’agit nécessairement d’une activité commerciale constituant une mission principale.

L’intervention des avocats mandataires sportifs au moment de la mise en relation devenait ainsi impossible, limitant leur rôle à celle d’une fonction support, de mandataire[6].

Bien que critiquée, la Cour de cassation est venue confirmer la position de la Cour d’appel en affirmant que «L’avocat ne peut, tant à titre principal qu’à titre accessoire, exercer l’activité d’agent sportif. ». Seul l’agent sportif pouvant « mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, tandis que l’avocat a pour attribution de représenter les intérêts d’une des parties à ce contrat », la Cour a ainsi annulé l’article P.6.3.0.3 en son alinéa 1er jugé « {in}compatible avec l’exercice de la profession d’avocat ».

B/ Carton jaune sur la rémunération de l’avocat mandataire sportif

En second lieu, la Cour revient sur la rémunération de l’avocat mandataire sportif qui, aux termes de l’article P.6.3.0.3 alinéa 2, autorise l’avocat à percevoir sa rémunération, dans le cadre d’une convention tripartite, d’une personne tierce (le club).

Selon le parquet général, ce second alinéa était contraire aux dispositions de l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, qui dispose que « L’avocat agissant en qualité de mandataire de l’une des parties intéressées à la conclusion d’un tel contrat ne peut être rémunéré que par son client. ». 

La Cour d’appel a fait droit à la demande d’annulation en procédant à une stricte application de cet article 10. Dans son raisonnement, la Cour vient justifier la sévérité de sa position par le fait que la convention tripartite serait intrinsèquement « source de conflit d’intérêts et parfaitement contraire à la loi. »

Si cette position de la Cour était particulièrement critiquable, la Cour de cassation (Cass, 2° civ, 2 mars 2023, 21-19.904) rejette les pourvois formés contre l’arrêt de la Cour d’appel. Cette confirmation intervient au travers d’une formulation explicite « l’avocat ne peut être rémunéré par un club qui est le cocontractant de son client », cela étant par nature « source de conflits d’intérêts et contraire à la loi. ». 

À l’image de l’assistance vidéo censée mettre un terme aux erreurs d’arbitrage, cette décision de la plus haute instance judiciaire nationale, vidant l’article 6 ter de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de sa substantifique moelle, n’échappe pas aux feux de la critique. 

III.     Un arbitrage critiquable 

A/ Au sujet de la mise en relation des joueurs et des clubs

Pour rappel, la Cour d’appel indique que « La mise en relation des joueurs et des clubs constitue une mission principale, indispensable et préalable à la conclusion des contrats, qui ne peut être considérée comme une activité accessoire à la négociation et à la conclusion des contrats, lesquels interviennent nécessairement après le recrutement des joueurs. »

Au travers de ce raisonnement, la Cour vient indiquer que la prestation accessoire ne pourrait intervenir qu’en aval d’une prestation principale, ajoutant ainsi une condition nouvelle à la notion d’activité accessoire. 

Ce raisonnement, selon un critère chronologique nécessitant l’antériorité d’une prestation juridique, s’oppose frontalement à la doctrine du Conseil national des barreaux (CNB) prônant l’exercice effectif de la profession d’avocat comme seul « critère pertinent pour apprécier si l’avocat l’exerce à titre principal et, par voie de conséquence, conduit ses activités dérogatoires de manière accessoire. »[7]

Avec cette position tout aussi innovante que contestable confirmée par la Cour de cassation, le législateur devrait  se saisir définitivement de la notion d’activité commerciale dérogatoire afin de garantir la sécurité juridique.

Enfin, et bien au-delà de la mise en relation, il apparaît évident que la mission de l’avocat mandataire sportif s’étend à un accompagnement juridique et judiciaire quotidien. Force est de constater que malgré l’utilisation d’un critère chronologique très contestable, l’activité de mise en relation est de facto toujours une activité exercée à titre accessoire par l’avocat.

La position des magistrats du quai de l’Horloge est tout aussi critiquable au sujet de la rémunération de l’avocat mandataire sportif uniquement par son client.

B/ Au sujet de la rémunération de l’agent par le club

Si la Cour indique que « L’avocat agissant en qualité de mandataire de l’une des parties intéressées à la conclusion d’un tel contrat ne peut être rémunéré que par son client. », il convient de rappeler que le règlement intérieur du barreau de Paris ne prévoyait pas le paiement par le club, mais seulement un mandat de payer au nom et pour le compte du joueur. 

À ce titre, et en application de l’article 1984 du Code civil, il s’agit non pas de la prise en charge des honoraires par le club, mais d’un paiement pour compte. Le club missionné pour rémunérer l’avocat ne réaliserait ce paiement qu’en représentation du joueur dans un cadre tout à la fois transparent et légal, ne pouvant être confondu avec un paiement fait par un tiers.

En toutes hypothèses, cette exclusion de l’avocat mandataire sportif du recours à la convention tripartite vient instaurer une nouvelle concurrence entre celui-ci et l’agent sportif, pouvant être au cœur de ce type de convention. Au travers de ce contentieux, ces deux professions se voient désormais en permanente opposition alors que tous deux auraient intérêt à travailler de consort ; nous obligeant à nous demander si le mandataire sportif est vraiment arrivé au bout de son chemin.

IV.     Le mandataire sportif obligé de raccrocher les crampons ?

A travers cette décision, on comprend que la Cour de cassation a cherché à maintenir un équilibre fragile entre deux professions, dont la complémentarité permettrait d’assainir un marché trop souvent reconnu pour ses désordres.

Cela étant, sans mettre fin à l’avocat mandataire sportif, la Haute Cour vient simplement organiser un statu quo revoyant chacun des acteurs à leurs missions traditionnelles : la mise en relation entre les sportifs et les clubs pour les agents sportifs, et le mandat de représentation (négociation et conclusion de contrats) pour les avocats mandataires sportifs.

Une fois ces décisions majeures digérées par l’ensemble des acteurs du sport, la complémentarité de ces professions et de leurs tâches devrait permettre une moralisation globale du marché.

Néanmoins, et dans l’objectif de préserver au mieux l’intérêt du sportif, le législateur devrait se saisir de la question et réformer la réglementation d’accès à la profession d’agent, en obligeant par exemple ceux-ci à disposer d’un diplôme de droit en sus de l’obtention de la licence d’agent sportif.


[1] Cass, 1° civ, 29 mars 2023 21-25.335

[2] Loi n° 2010-626 du 9 juin 2010 encadrant la profession d’agent sportif

[3] Commission Darrois – Rapport sur les professions du Droit

[4] Loi n° 2011-331 du 28 mars 2011

[5] CA Paris, 4, 13, 14 oct. 2021, n°20/11621

[6] « Il résulte de la combinaison de ces deux textes que seul l’agent sportif, qui doit obtenir une licence professionnelle pour pouvoir exercer le rôle d’intermédiaire, a le pouvoir de mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, l’avocat mandataire sportif, pour sa part, ayant pour attribution de représenter, dans le cadre d’un mandat, les intérêts d’un sportif ou d’un club lors de la conclusions de ces contrats. »

[7] Recommandation du Conseil nation des barreaux portant sur les activités commerciales dérogatoires

Crédit photo (©️Allsport

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