4 octobre 2018

Le potentiel de la blockchain pour les entreprises en difficultés

La cryptomonnaie pourrait être considérée comme un actif disponible et insaisissable

La cryptomonnaie comme actif disponible au sens du Droit des entreprises en difficultés

Le point d’ancrage de l’application des règles contraignantes, bien que protectrices, des procédures collectives est l’état de cessation des paiements.

A ce titre, l’article L631-1 du Code de Commerce dispose qu’une entreprise est en état de cessation des paiements, « lorsqu’elle est dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ».

L’actif disponible répond ainsi à une définition plus restreinte que l’actif de manière générale. En effet, cela comprend tout ce qui permettrait de payer immédiatement les potentiels créanciers, à savoir :

  • L’actif liquide, correspondant notamment aux disponibilités en banque ou en caisse, aux effets de commerce, aux soldes créditeurs provisoires, aux réserves de crédit ou aux moratoires accordés par les créanciers.
  • L’actif réalisable, correspond aux actifs qui peuvent être immédiatement convertibles en argent, dès lors que leur cession est rapide. C’est le cas notamment des effets de commerce escomptables, et des valeurs mobilières cotées rapidement réalisables.

Ainsi, il semblerait envisageable de considérer la cryptomonnaie comme un actif disponible. D’une part en raison de sa valeur économique, nous ne pouvons pas douter sur le fait que la cryptomonnaie constitue un actif, d’autre part en raison de sa possibilité d’être convertit immédiatement en euro, il résulte que cet actif semble bien disponible au sens du Droit des entreprises en difficultés.

L’intérêt de cette possibilité est majeur, puisque les cryptomonnaies de l’entreprise pourront s’ajouter à l’actif disponible de cette dernière. L’état de cessation des paiements et ses règles contraignantes y afférentes pourront être évités, dès lors que l’actif disponible permettrait de faire face au passif exigible de l’entreprise.

Dans cette hypothèse, il serait judicieux que le législateur prenne en compte ce nouveau type de patrimoine dans la détermination de l’état de cessation des paiements, en ajoutant explicitement à la définition de l’actif disponible le portefeuille de cryptomonnaie afin de ne plus faire planer de doute. 

La cryptomonnaie comme actif insaisissable : une fiducie 2.0

Bien qu’étant disponible, cet actif reste pour autant insaisissable. A l’image de la fiducie-sureté créant un patrimoine d’affectation ne pouvant être appréhendé par le Droit des entreprises en difficultés, la blockchain pourrait permettre de mettre à l’abri la cryptomonnaie et donc des actifs de l’entreprise en cas de procédure collective.

En effet, la fiducie-sûreté est l’opération par laquelle une personne dénommé le « constituant », transfère une partie de son patrimoine nommé « patrimoine d’affectation » à un fiduciaire au titre de garantie de remboursement d’un ou plusieurs créanciers. Dans ce cadre, le débiteur constituant a le choix de conserver l’usage ou la jouissance des actifs présents dans le patrimoine d’affectation, ou bien de laisser cet usage au fiduciaire.

Cette possibilité a une conséquence importante puisqu’à défaut de convention dans lequel le débiteur constituant conserve l’usage ou la jouissance de ces actifs, le patrimoine d’affectation est présumé ne pas être indispensable à l’exploitation. De sorte que, ce patrimoine fiduciaire ne sera pas affecté en cas de procédure collective du débiteur constituant.

Par un parallélisme de forme, cette situation pourrait être applicable au cryptomonnaie. En effet, la cryptomonnaie est un actif stocké au sein d’un portefeuille dématérialisé. Nous pouvons imaginer que cette cryptomonnaie stockée pourrait constituer « un patrimoine d’affectation » au titre de garantie de remboursement d’un ou plusieurs créanciers du débiteur, à l’image de la fiducie sureté. Dès lors, cet actif pourrait être considéré comme non indispensable à l’exploitation à défaut de convention dans lequel le débiteur conserve l’usage ou la jouissance de ces derniers, et ainsi être insaisissable par les créanciers en cas de procédure collective. 

En résumé, la prise en compte de la cryptomonnaie dans l’actif disponible du débiteur, permettrait d’une part d’éviter potentiellement l’état de cessation des paiements, et d’autre part de mettre à l’abri une partie de l’actif du débiteur des mains des créanciers.

L’investissement dans la cryptomonnaie constitue donc un avantage pour les entrepreneurs afin de se prémunir des risques résultants de leur difficultés économiques. D’autant plus que contrairement aux idées reçues, la cryptomonnaie n’est pas forcément volatile. A titre d’illustration, le stable coin constitue une cryptomonnaie stable. Une fois achetée, la valeur de la cryptomonnaie au jour de son achat est conservée quelque soit l’évolution de son cours, qu’il s’agisse d’une dépréciation ou d’une augmentation. 

L’absence d’appréhension de la cryptomonnaie pendant la période suspecte 

Notre droit actuel n’appréhende pas encore les opérations réalisées avec la cryptomonnaie lors de la période suspecte.

En effet, la période suspecte est une période débutant au jour de la cessation des paiements jusqu’au jugement d’ouverture d’une procédure collective. Au sein de cette période, le débiteur ne peut effectuer certains actes considérés comme suspects, sous peine de nullité.

Cette disposition législative permet en outre d’empêcher le débiteur de disperser ou de mettre à l’abri son actif des mains des créanciers.

L’article L632-1 du Code de Commerce énumère limitativement les actes considérés comme suspects et donc pouvant être annulés, à savoir :

  1. Tous les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière ;
  2. Tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l’autre partie ;
  3. Tout paiement, quel qu’en ait été le mode, pour dettes non échues au jour du paiement ;
  4. Tout paiement pour dettes échues, fait autrement qu’en espèces, effets de commerce, virements, bordereaux de cession visés par la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises ou tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d’affaires ;
  5. Tout dépôt et toute consignation de sommes effectués en application de l’article 2075-1 du code civil (1), à défaut d’une décision de justice ayant acquis force de chose jugée ;
  6. Toute hypothèque conventionnelle, toute hypothèque judiciaire ainsi que l’hypothèque légale des époux et tout droit de nantissement ou de gage constitués sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées ;
  7. Toute mesure conservatoire, à moins que l’inscription ou l’acte de saisie ne soit antérieur à la date de cessation de paiement ;
  8. Toute autorisation et levée d’options définies aux articles L. 225-177 et suivants du présent code ;
  9. Tout transfert de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire, à moins que ce transfert ne soit intervenu à titre de garantie d’une dette concomitamment contractée ;
  10. Tout avenant à un contrat de fiducie affectant des droits ou biens déjà transférés dans un patrimoine fiduciaire à la garantie de dettes contractées antérieurement à cet avenant ;
  11. Lorsque le débiteur est un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, toute affectation ou modification dans l’affectation d’un bien, sous réserve du versement des revenus mentionnés à l’article L. 526-18, dont il est résulté un appauvrissement du patrimoine visé par la procédure au bénéfice d’un autre patrimoine de cet entrepreneur […] ».

Or, qui du débiteur qui déciderait de convertir son argent en cryptomonnaie, ou bien d’effectuer des paiements en cryptomonnaie pendant la période suspecte ?

Comme énonce l’adage « pas de nullité sans texte », et que l’article L632-1 du Code de Commerce énumère limitativement les cas de nullité sans mentionner la cryptomonnaie, nous pouvons légitimement penser qu’à défaut de mention législative, les paiements effectués en cryptomonnaie ne pourraient encourir la nullité.

Dans ce cadre, il serait possible pour un débiteur de mettre à l’abri de ses créanciers une partie de son actif lors de la période de nullité suspecte, bien que le risque de requalification en fraude puisse exister.

La tokenisation de la dette : une nouvelle méthode de remboursement des créanciers

Enfin, si l’entreprise tombe finalement sous le coup des règles des procédures collectives, la blockchain pourrait constituer un moyen intéressant de remboursement des dettes aux créanciers. C’est d’autant plus vrai que de plus en plus de français détiennent aujourd’hui de la cryptomonnaie, et se sont familiarisés avec le mécanisme de la blockchain.

La blockchain permettrait de tokeniser de la dette. La tokenisation est la « transformation » d’un actif en token. Dans ce cadre, le créateur du token peut affecter à ce dernier l’usage qu’il souhaite, comme la possibilité d’avoir accès à une cryptomonnaie, un bien ou une prestation de service.

Dans la pratique, il serait donc envisageable qu’un débiteur rembourse sa dette en transférant aux créanciers des tokens dont l’utilisation serait préalablement définie par les parties, laissant une multitude de possibilités.

A titre d’illustration, nous pouvons imaginer qu’un cabinet d’avocats puisse émettre des tokens permettant aux créanciers d’obtenir une consultation juridique. De même une société, pourrait proposer des tokens donnant un droit d’accès aux dividendes de cette dernière…etc.

Les possibilités qu’offrent la tokenisation sont innombrables, et permettent d’envisager une nouvelle méthode de remboursement des créanciers avantageuse pour les débiteurs et créanciers confondus rendant notamment possible le paiement en nature.

En effet, en rémunérant le créancier par le biais d’un token représentant une prestation de service, d’une part le débiteur pourrait éviter d’être dessaisis de tous ces biens, et d’autre part le créancier pourrait se rémunérer même lorsque le débiteur ne détient plus d’actif liquide saisissable.

Bien entendu, si le créancier souhaite se rémunérer en numéraire, ce dernier aurait toujours la possibilité de revendre son token à une personne désirant une consultation juridique, ou bien un droit d’accès aux dividendes de la société si l’on reprend l’exemple mentionné plus haut.

La blockchain, une solution pour éviter « le prix de la course »

La fâcheuse tendance qu’ont les créanciers de réclamer avec force et vigueur le remboursement de leur créance auprès des débiteurs en difficultés, afin d’être payé prioritairement par rapport aux autres créanciers pourrait être évité.

En effet, grâce à la tokenisation, la distribution à part égal de l’actif entre les différents créanciers est facilité, puisque chaque créancier serait en mesure de recevoir un token d’une même valeur, ce qui éviterai le « prix de la course » des créanciers.

Par ailleurs, le mécanisme des « smart contract » pourrait aussi être intégré dans le droit des entreprises en difficultés pour permettre à tous les créanciers le remboursement de leur créance de manière équitable. En effet, ces contrats encodés dans la blockchain permettent l’exécution automatique d’un accord entre les parties, lorsque toutes les conditions prévues préalablement ont été remplies. Dès lors, le smart contrat pourrait délivrer de manière automatique et simultané aux créanciers le remboursement de leur créance sous la forme de tokens.

Cela permettrait pour les créanciers d’être rémunérés plus rapidement et facilement, d’une part en raison de la rapidité de l’exécution de l’obligation grâce au smart contrat, d’autre part en raison de la possibilité de partager de manière plus équitable des tokens, plutôt que des biens meubles qui sont difficilement partageables en fonction du nombre de créanciers.

Pour conclure, au-delà du cadre des entreprises en difficultés, il s’avère que la blockchain permet de faire des économies non négligeables au sein d’une entreprise. La technique des « smart contract » en est une illustration, puisque les tierces personnes au contrat ne sont plus nécessaires pour sécuriser les transactions, ce qui permet d’économiser des couts et du temps pour l’entreprise.

 

Ecrit par le cabinet Bruzzo Dubucq en collaboration avec Antocicco Emilie.

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