Réforme du droit des contrats
Le 1er octobre 2016, la réforme du Droit des contrats et des obligations est enfin entrée en vigueur. C’est la première fois depuis sa rédaction en 1804 que le législateur a franchi le cap en modifiant le plus sacré de tous les codes. Et ce n’était pas trop tôt ! À de nombreux égards, notre bien aimé Code civil était devenu obsolète, aussi bien au regard de la jurisprudence que du droit spécial. En effet, dans l’esprit du Code Napoléonien, le contrat était un acte figé dans le temps. Il n’était pas question de prendre en compte le sort des contrats à exécutions successives. Cette conception ne posait pas problème à une époque où la plupart des contrats étaient des contrats de vente exécutés instantanément.
Mise en accord du code et de la réalité
Mais petit à petit, le Code civil s’est déconnecté de la réalité économique. En effet sont progressivement apparus des contrats dont l’exécution se prolongeait pendant des mois, voire des années. Or, les circonstances dans lesquelles un contrat a été conclu peuvent considérablement évoluer au fil du temps, sans que les parties puissent l’avoir prévu au départ. Ainsi de nouvelles situations litigieuses ont émergé, dans lesquelles des parties, qui avaient initialement contracté selon certaines circonstances, ne pouvaient plus exécuter leurs obligations devenues déséquilibrées.
Affaire du « Canal de Craponne »
La Cour de Cassation s’était positionnée sur la question dans la célèbre affaire dite du « Canal de Craponne » (Cass. Civ. 6 mars 1876), canal entretenu de génération en génération, contre une redevance devenue dérisoire au fil des siècles. Elle décida de priver le juge du pouvoir de réviser un contrat légalement conclu par les parties. En rejetant ainsi fermement la théorie de l’imprévision, la Cour de Cassation avait fait de la sécurité contractuelle un impératif devant primer sur l’équité.
Progressions des contrats
Cependant, la période des « Trente Glorieuses » fut marquée par une progression spectaculaire des contrats s’exécutant sur le long terme, notamment en raison du développement de la grande distribution. La Cour de Cassation a alors pour la première fois opéré un assouplissement de sa jurisprudence en posant une obligation de renégocier de bonne foi les contrats devenus manifestement déséquilibrés (Cass. Com. 3 novembre 1992 N°90-18547 « Huard »). Les praticiens devaient alors s’adapter avec des clauses d’imprévision.
Révision des contrats lors de changement de circonstances
Le nouvel article 1195 du Code civil va désormais révolutionner le droit des contrats ! Il admet en effet qu’un changement de circonstances puisse justifier la révision du contrat par le juge. La mise en œuvre de cet article est tout de même subordonnée à certaines conditions :
- il doit s’agir d’un changement de circonstances extérieures aux parties (des circonstances liées à la structure de marché, à une crise économique, un changement politique etc.).
- Ce changement doit être imprévisible lors de la conclusion du contrat et rend l’exécution excessivement onéreuse pour l’une des parties (une simple baisse de profit ne suffit pas). Cette partie ne devait pas avoir accepté d’en assumer le risque. Cela implique que l’article 1195 n’est pas impératif : a contrario, les parties peuvent aménager l’imprévision par une clause d’adaptation ou de renégociation, voire même en écarter l’application par une clause contraire.
- Enfin, l’imprévision ne justifie par la suspension du contrat (ce n’est pas un cas de force majeure).
Si une partie au contrat satisfait ces exigences, la révision judiciaire est possible. Toutefois, le législateur incite la partie à renégocier en priorité le contrat avec son cocontractant, à défaut de quoi elle risquerait de se voir opposer un manquement à son devoir de bonne foi (conformément à la jurisprudence Huard suscitée).
L’article 1195 énonce enfin qu’en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. C’est seulement en dernier recours que le juge pourra réviser le contrat ou y mettre fin sur demande d’une partie. C’est lui qui en fixera la date et les conditions.
Le législateur vient donc d’admettre la théorie de l’imprévision et dote le juge d’un pouvoir considérable au service de la justice contractuelle.