Régime fiscal et actif immobilisé
Il est de jurisprudence constante que ne doivent suivre le régime fiscal des éléments incorporels de l’actif immobilisé que les droits constituant une source régulière de profits, dotés d’une pérennité suffisante et susceptibles de faire l’objet d’une cession. Par éléments incorporels de l’actif immobilisé, on entend des actifs non monétaires sans substance physique dont l’entreprise entend se servir sur plus d’un exercice comptable, destinés à être utilisés par elle dans le cadre de son activité, loués à des tiers ou à des fins de gestion interne.
On retrouve ainsi dans les immobilisations incorporelles :
- les logiciels et autres brevets,
- les marques,
- les fonds de commerce ainsi que certains droits accessoires à d’autres, à commencer par certains droits rattachés à la propriété…
La première décision du Conseil d’État en ce sens date du 21 aout 1996, dans l’arrêt Sife. La décision annulée par la juridiction administrative suprême avait été rendue à propos d’une entreprise qui, moyennant le paiement de redevances proportionnelles au chiffre d’affaires, avait obtenu une concession d’exploitation exclusive en France de deux marques, pour une durée de dix ans. La concession était renouvelable par tacite reconduction et ne pouvait être dénoncée par le concédant que dans deux cas strictement déterminés. Le concessionnaire ne bénéficiait d’une autorisation de sous-concession que pour l’une des marques.
Le Conseil d’Etat casse et annule la décision de la Cour d’appel administrative de Nancy du 14 octobre 1993 aux motifs qu’en jugeant que les redevances versées au titre d’une licence exclusive d’exploitation en France de deux marques, concédée pour une durée de dix ans, tacitement renouvelable, rémunèrent l’acquisition d’éléments incorporels de l’actif immobilisé eu égard à la durée et à l’étendue du champ d’application territorial de la concession, sans tenir compte de la non-cessibilité du droit d’exploiter l’une des marques concédées, ladite Cour avait commis une erreur de droit.
Par cet arrêt, le Conseil d’Etat vient consacrer l’idée selon laquelle les droits relevant de l’actif immobilisé doivent répondre à trois critères cumulatifs :
- constituer une source régulière de profits,
- être dotés d’une pérennité suffisante
- être cessible.
Cette décision n’a depuis cessé d’être confirmée, dans des cas d’espèce aussi nombreux que divers.
Actifs immobilisé ou non
La plus récente illustration est un arrêt du Conseil d’Etat en date du 27 janvier 2017 (CE 27 janvier 2017, n°391817), qui concernait le fait de savoir si les dépenses visant à acquérir des droits supplémentaires au droit au bail devaient ou non être immobilisées.
En l’espèce, une société d’exploitation donne à bail commercial à une autre, pour une durée de neuf années, un ensemble immobilier composé de bâtiments à usage industriel et de bureaux ainsi que de terrains attenants.
L’une des clauses de ce contrat prévoit que, dans le cas où le bailleur déciderait de vendre l’ensemble immobilier loué, il devrait choisir comme acquéreur le preneur par préférence à tous les autres, cette clause excluant toutefois expressément l’application de ses stipulations en cas de cession de l’ensemble immobilier à l’un des actionnaires de la société cédante ou à leurs descendants ou collatéraux.
Par un avenant, les mêmes parties ont expressément mis un terme à cette exclusion et réservé à la société cessionnaire la préférence à tout autre preneur en cas de cession de l’ensemble immobilier.
Par ce même avenant, la société cédante s’est par ailleurs engagée, d’une part, à consentir à la société cessionnaire, à l’échéance du bail en cours et dans les mêmes conditions, un nouveau bail d’une durée de neuf années, et d’autre part, à ne pas tenir compte, pour l’évaluation du prix de vente en cas de cession de l’ensemble immobilier au preneur, de la valeur vénale des constructions ou travaux réalisés par ce dernier. Il a enfin été convenu que la société cessionnaire verserait au bailleur, en contrepartie des renonciations à une partie de ses droits, une indemnité de 1 500 000 €.
Charge exceptionnelle et immobilisation incorporelle
L’administration fiscale a remis en cause la déductibilité de cette indemnité, que la société cessionnaire avait portée en charge exceptionnelle dans la comptabilité d’un de ses exercices ; elle estimait, bien au contraire, que cette somme correspondait à l’acquisition d’une immobilisation incorporelle.
En effet, si le droit au bail commercial, qui est l’un des éléments constitutifs du fonds du commerce, fait partie, par nature, des éléments de l’actif immobilisé, restait à savoir si les dépenses visant des droits supplémentaires au droit de bail étaient ou non comptabilisées en charge ; de cette qualification comptable dépendait la déductibilité ou non de ses dépenses, qui ne sauraient être déduites si elles constituent des éléments de l’actif immobilisé.
A cette question, La Cour administrative d’appel de Douai avait déjà répondu négativement, faisant application de la jurisprudence SA Sife. Elle avait ainsi jugé que les avantages accordés par le bailleur revêtaient un caractère pérenne et constituaient une source régulière de profit et devaient par conséquent être regardés comme ayant généré l’entrée dans le patrimoine de la société locataire d’un nouvel élément d’actif immobilisé, alors même qu’ils ne présentaient pas de caractère cessible.
Tel est également le positionnement du Conseil d’Etat dans l’arrêt du 27 janvier 2017, les dépenses qui visent à acquérir des droits supplémentaires ne sont, dès lors, pas déductibles au titre de l’exercice où elles sont exposées. Il en va notamment ainsi lorsqu’elles portent sur les modalités de renouvellement du bail ou d’acquisition du bien en cas de cession.
De cet arrêt, il ressort que les avantages consentis par le bailleur, suite à un avenant à un contrat de bail commercial, qui visent à réserver le préférence cas de cession d’un ensemble immobilier par exemple, sont des éléments de l’actif immobilisé de la société ; que dès lors, la société locataire ne peut déduire l’indemnité versée au bailleur en contrepartie de son consentement à la renonciation à une partie de ses droits.