Les économies africaines et leurs matières premières
Les économies africaines dépendent « de manière beaucoup trop importante » de leurs matières premières et doivent « s’adapter » pour en tirer une source de croissance et sortir de leur « malédiction ». C’est en ces termes que Philippe Chalmin, coordinateur du rapport annuel Cyclope, pointe du doigt la relation dangereuse qu’entretient l’économie africaine avec leurs ressources primaires. Si cette dépendance, depuis le début des années 2000, a offert au continent africain un formidable outil de croissance, le contrecoup d’une décennie de développement fait son apparition sur la scène économique continentale.
Il y a trois ans encore, l’Afrique était le foyer de la plupart des pays affichant les plus fortes croissances au monde, parmi lesquels l’Angola, le Nigéria, l’Éthiopie, le Tchad, le Mozambique, la Sierra Leone et le Rwanda.
L’impressionnante croissance économique moyenne africaine, qui avoisinait les 5 % au cours des années 2000 à 2014, suscitait l’optimisme de bon nombre d’économistes, qui voyaient en ces chiffres les prémices et le potentiel de développement du continent. L’économie africaine, favorisée par les cours élevés des matières premières et par une exposition plutôt marginale au regard des autres continents aux marchés financiers mondiaux, a été épargnée par la crise financière mondiale de 2009. En outre, les flux constants d’investissements étrangers directs ont assuré une trajectoire de croissance durable.
L’économie africaine et la dépendance du continent eu égard à ses ressources minières et autres matières premières, recouvre plusieurs réalités. Comme le remarque Karim El Aynaoui, directeur général de OCP Policy Center, « Les Africains sont riches de leur sous-sol, mais ne peuvent emprunter sur cette base, et se retrouvent à exporter des matières premières brutes sans valeur ajoutée ». Par voie de conséquence, là où le continent africain devrait faire des matières premières le fer de lance de leur économie, ainsi que le principal vecteur de leur croissance, tel n’est plus le cas depuis quelques années. C’est pour cette que Philippe Chaslin, économiste, professeur à l’université de Paris-Dauphine, énonce que les matières premières doivent être appréhendée différemment par les économies africaines, pour devenir une source durable et pérenne de croissance, là où elle ne l’est à l’heure actuelle que lorsque les constances économiques sont favorables à la croissance. Les ressources minières et pétrolières, notamment, doivent à terme devenir un moteur stable et constant du développement africain.
Toutefois, il serait faux de penser que la difficulté qu’a l’économie africaine de tirer le meilleur parti des matières premières, dont elle regorge, constitue la seule facette du problème. Bien au contraire, la dépendance qu’entretient le continent avec les ressources précitées a une face cachée.
Si l’Afrique peine à profiter autant que faire se peut des bienfaits de ses matières premières, elle subit de plein fouet le contrecoup de sa dépendance. Notamment, elle subit immédiatement les conséquences économiques négatives des baisses de prix ou de production, facteurs que seul le marché de l’offre et de la demande contrôle. Tout au moins, les autorités économiques africaines n’en sont qu’un acteur moindre.
A titre d’exemple, notons que c’est à la suite d’une baisse du prix du baril de pétrole que le Tchad, qui tire de ce combustible la grande majorité de ses revenus, a été contraint de mettre en place une politique d’austérité, dont on observe aujourd’hui les conséquences, non seulement économiques, mais encore sociales.
Exportation de matières premières
Paradoxalement, et alors même que les nations africaines font partie des pays les plus riches en ressources naturelles, il semble exister un lien négatif entre la proportion des exportations de matières premières dans le produit intérieur brut et le taux de croissance de pays tels que l’Algérie, le Nigeria, le Congo, l’Angola. Ce phénomène, décrit pour la première fois par Richard Auty en 1990. Il se base sur le constat selon lequel la croissance économique des pays pétroliers est inférieure à celle d’autres pays moins favorisés par la nature. Ainsi, on observe par exemple que la pauvreté a fortement augmenté au cours de la dernière décennie, en dépit de la croissance générée par le boom pétrolier. Un tel clivage entre croissance économique et développement humain s’explique certes par la distribution très inégalitaire des revenus dans les pays riches en ressources naturelles, mais par d’autres phénomènes économiques plus profond, à commencer par « la maladie hollandaise », conséquence négative du sur-emploi économique des ressources naturelles.
Le fait est qu’une hausse de la rentabilité telle que l’a connue le continent africain au début des années 2000 sur un secteur aussi compétitif que celui des matières premières, et notamment celui du pétrole, se traduit aujourd’hui par un déplacement de la main-d’œuvre, celle-ci abandonnant des secteurs certes moins compétitifs mais pour autant essentiels, pour se tourner vers des secteurs forts sur lesquels la demande est plus élevée.
Parallèlement, l’économie de marché dans laquelle nous vivons est telle que les revenus supplémentaires à la disposition des agents économiques du pays vont accroître la demande de biens et provoquer une hausse générale des prix dans le pays. Cette hausse des prix se fera au détriment du secteur exportateur le moins compétitif, qui devra payer ses fournisseurs et ses employés plus cher.
Enfin, les économistes qui se sont penchés sur le problème africain constatent que la hausse des exportations de matières premières se traduit, de manière générale, par une hausse des exports globaux. La conséquence directe est l’appréciation de la monnaie locale, soit une augmentation de la « force » de la devise, qui pénalise l’industrie locale soumise à la concurrence internationale.
Tous les effets néfastes précités, qui résultent de la dépendance des pays africains eu égard, posent une question de très grande importance à laquelle le continent africain devra trouver des réponses : comment l’Afrique doit-elle adapter son économie pour profiter au mieux des bienfaits de ses matières premières, tout en prémunissant les secteurs économiques mineurs de la concurrence internationale ? La première des solutions, selon Philippe Chaslin, reposera, dans les années à venir, sur le développement d’une agriculture plus performante, mais aussi sur une exploitation plus prudente et raisonnable des ressources minières, pétrolières… dont l’Afrique peut vanter sa richesse.