Peut-on rembourser son compte courant avec un prêt garanti par l’État (avant d’ouvrir une procédure collective) ?
La crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID-19 engendrera probablement une crise économique d’une ampleur inconnue. Afin d’en limiter les effets, le législateur a voté en urgence la loi du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020. L’une des mesures emblématiques contenues dans cette loi consiste dans la mise en place d’un mécanisme de garantie de l’État des prêts consentis par des établissements de crédit à hauteur de 300 milliards d’euros (article 6 de la loi de finances rectificative). Un arrêté du 23 mars 2020 s’ajoute à cette loi pour fixer le cahier des charges des prêts éligibles à la garantie de l’État et précise les conditions d’octroi de celle-ci.
Notons d’ores et déjà le caractère hybride du mécanisme du prêt garanti par l’État (PGE) : les fonds prêtés aux entreprises ont une origine privée – ils sont prêtés par un établissement de crédit classique – mais le risque d’insolvabilité de l’emprunteur sera in fine supporté par la collectivité, c’est-à-dire par l’État.
Le risque d’insolvabilité n’est au demeurant pas entièrement pris en charge par l’État. La garantie ne couvre pas la totalité du prêt, mais un pourcentage de celui-ci qui dépend de la taille de l’entreprise emprunteuse : 90 % pour les entreprises qui, lors du dernier exercice clos, ou si elles n’ont jamais clôturé d’exercice, au 16 mars 2019, emploient en France moins de 5 000 salariés et réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 milliard d’euros ; 80 % pour les autres entreprises qui, lors du dernier exercice clos, réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros et inférieur à 5 milliards d’euros ; 70 % pour les autres entreprises.
Relevons également que le mécanisme du prêt garanti par l’État est d’application générale puisqu’il s’applique, outre dans la métropole, dans les départements d’outre-mer, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans îles Wallis et Futuna.
La garantie couvre le remboursement du crédit, à la fois en principal, intérêts et accessoires. Mais elle ne bénéficie pas à toutes les entreprises. Ce sont seulement les entreprises françaises, précisément les « entreprises non financières immatriculées en France », qui y sont éligibles. L’arrêté d’application précité énonce que sont concernées les entreprises de toute taille, quelle que soit leur forme juridique (notamment sociétés, commerçants, artisans, exploitants agricoles, professions libérales, micro-entrepreneurs, associations et fondations ayant une activité économique), à l’exception des sociétés civiles immobilières, des établissements de crédit et des sociétés de financement, pourront demander à leur banque habituelle un prêt garanti par l’État pour soutenir leur trésorerie. Les entreprises concernées ne doivent pas faire l’objet d’une procédure collective (sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation). En revanche, les entreprises faisant l’objet d’une procédure préventive de type conciliation sont éligibles à la garantie.
Ces précisions faites s’agissant des entreprises bénéficiaires du PGE, qu’en est-il à présent des modalités du prêt soumis à ce mécanisme de garantie ?
L’arrêté d’application précise que sont éligibles à la garantie étatique les prêts qui présentent l’ensemble des caractéristiques suivantes : un différé d’amortissement minimal de douze mois ; une clause donnant aux emprunteurs la faculté, à l’issue de la première année, de les amortir sur une période additionnelle de un, deux, trois, quatre, ou cinq ans.
Qu’en est-il à présent de la question de savoir si le bénéficiaire d’un PGE peut librement ou non faire usage des fonds prêtés ?
Par principe, le prêt garanti par l’État (PGE) n’est pas un crédit affecté, en ce sens que les sommes prêtées par la banque et dont le remboursement est garanti par l’État ne sont pas affectées à une opération particulière. Par exemple, un prêt garanti par l’État de 500 000 euros consenti à une entreprise ne vise pas nécessairement au financement d’un projet économique particulier.
Dans une note publiée le 31 mars 2020 par l’Administration, il est en effet indiqué que « L’État ne préempte pas les possibilités d’utilisation des fonds mis à disposition dans le cadre du PGE, dans le cas du dispositif de masse. Des clauses usuelles convenues entre l’emprunteur et la banque peuvent toutefois les encadrer, et il est attendu une mobilisation des fonds aux fins de la préservation de l’activité et de l’emploi en France »[1].
Il s’agit, dès lors, d’analyser le contenu des contrats de prêts garantis par l’État. En effet, l’établissement de crédit peut tout à fait insérer des clauses limitant la liberté de l’entreprise emprunteuse, en exigeant que les fonds prêtés soient employés à un usage particulier. Plus simplement, l’établissement de crédit peut interdire tel ou tel usage des fonds prêtés.
Le plus souvent et en raison de l’urgence avec laquelle les prêts ont été consentis, de telles clauses restrictives de la liberté de l’emprunteur n’ont pas été stipulées.
Plus fréquemment, ce sont non pas des clauses restrictives, mais des clauses d’information qui sont stipulées au profit de la banque. Par exemple, il peut être prévu que « L’Emprunteur s’engage à informer et communiquer à l’établissement de crédit, notamment dans les situations visées ci-dessous dès qu’elles se produisent ou à première demande toutes modifications dans la répartition du capital social de l’Emprunteur, ou des droits de vote de ses actionnaires ou associés, ainsi que tout projet de fusion, de scission, transfert partiel d’activité ou de dissolution ; ainsi que toutes modifications dans le statut de l’Emprunteur (notamment la forme juridique, l’objet social, le montant du capital), de même qu’à informer l’établissement de crédit de toute procédure prononçant la sauvegarde, le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire de l’Emprunteur,
Cette obligation d’information ne restreint en elle-même pas l’usage des fonds prêtés au titre du PGE, elle l’encadre simplement. Le mutisme des contrats de prêt quant à l’usage des fonds doit donc pousser en faveur de la liberté de l’emprunteur.
Il y a néanmoins une question qui se posera très probablement sur ce point, non pas à l’égard du contenu explicite des contrats de prêt, mais bien plutôt à l’égard de ce qui constitue leur contenu implicite. Il n’est pas ici question de forçage des contrats de PGE, le juge découvrant une possible clause restrictive de liberté de l’emprunteur. L’atteinte à la liberté contractuelle et à l’autonomie de la volonté serait probablement trop sévère pour que le juge s’immisce de la sorte dans le contenu du contrat. Il y a cependant une question qui pourra faire difficulté, relative aux informations que l’emprunteur aura communiquées à l’établissement de crédit dans le cadre de sa demande de financement garanti par l’État. La pratique consiste sur ce point à remettre au prêteur de deniers un dossier financier retraçant l’activité du potentiel emprunteur, ainsi que ses perspectives d’évolution et ses besoins de trésorerie. Par exemple, il peut être précisé, dans ce dossier, que « Les associés de la société emprunteuse vont geler leurs comptes-courants d’un montant de X millions d’euros jusqu’à complet remboursement de l’emprunt « COVID-19 » et vont réaliser un abandon de compte-courant à hauteur de Y millions d’euros de compte courant avec clause de retour à meilleure fortune qui ne pourra intervenir qu’à l’issue complet remboursement de l’emprunt « COVID-19 » et de la fin du remboursement de crédit-bail immobilier ».
Nous voici donc en présence d’un document d’information précontractuelle que le candidat au crédit remet à l’établissement de crédit sans pour autant que le contrat de PGE n’en soit le reflet contractuel. L’on reconnaît ici l’enjeu de cette question et le spectre d’un arrêt de la première chambre civile en vertu duquel « les documents publicitaires peuvent avoir une valeur contractuelle dès lors que, suffisamment précis et détaillés, ils ont eu une influence sur le consentement du cocontractant » (Civ. 1ère, 6 mai 2010, n° 08-14.461). Le juge peut donc intégrer dans le contenu obligationnel explicite du contrat une obligation qui gravite autour de l’instrumentum support exprès de l’accord des parties.
La question qui nous occupe ne se situe pas exactement dans le domaine publicitaire, c’est une évidence, mais nous sommes tout de même en présence d’une simple information précontractuelle que le juge pourrait qualifier d’obligation. Par exemple, le juge pourrait métamorphoser une énonciation du dossier financier précontractuel en véritable obligation contractuelle.
Mais les associés, qui ne sont pas parties au contrat de PGE, peuvent-ils légitimement souscrire une telle obligation à l’égard de l’établissement de crédit ? La réponse est affirmative, à tout le moins si un engagement autonome de leur part peut être prouvé, car le contrat de prêt n’est conclu en principe qu’entre la société et la banque, pas entre les associés et la banque. Précisons toutefois que la société emprunteuse pourrait également se porter-fort de l’engagement des associés, mais une fois encore cela devrait résulter d’une stipulation expresse.
Sans même aller sur le terrain du contenu obligationnel du contrat de PGE – complété par le juge interprétant très largement le contrat – une difficulté pourrait émerger eu égard à la validité du contrat de prêt. Quid par exemple d’une banque qui aura consenti au prêt eu égard à l’engagement des associés de ne pas solder leur compte-courant ? Il y aurait ici matière à une action en nullité du contrat pour erreur, encore faudrait-il prouver que cette erreur se rattache à la substance de la prestation. Quid également d’un dossier financier dolosif, faisant par exemple miroiter à la banque un usage « raisonné » des fonds prêtés quand, en cours d’exécution du contrat, les fonds seront affectés à des dépenses considérées comme incompatibles avec la survie de la société emprunteuse ?
Quid également d’une banque qui aurait conditionné son concours financier à un usage déterminé des fonds prêtés ? La condition résolutoire permettrait de fonder la résolution du PGE dont les fonds ont été utilisés à mauvais escient.
S’agissant de l’ensemble de ces questions, il y aura selon nous lieu de se reporter au contrat de prêt dont il faut rappeler qu’il est rédigé par la banque elle-même. Il est bien souvent un contrat d’adhésion au sens de l’article 1110 alinéa 2 du Code civil. Or, faut-il encore rappeler l’adage contra proferentem ? L’article 1190 du Code civil le fait pour nous : « Dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé ».
Il serait malvenu de faire reproche à l’emprunteur de faire un mésusage des fonds prêts quand la banque s’est abstenue d’encadrer cet usage dans le contrat. Dans le silence des contrats de PGE, l’emprunteur est libre d’employer les fonds à sa convenance.
Cette liberté doit, sauf stipulation contraire, concerner les dépenses les plus diverses, comme le remboursement d’un compte-courant d’associé, qui à la réflexion est une dette comme une autre de la société à l’égard des associés.
Le compte-courant d’associé est, rappelons-le, un prêt qu’un associé consent à la société dont il est membre. Il ne s’agit donc pas d’un apport au sens du droit des sociétés, qui consiste, lui, à transférer à titre définitif à la société un actif en échange de droits sociaux.
Si un temps la jurisprudence a semblé limiter la liberté de l’associé de demander remboursement de son compte-courant, la Cour de cassation a finalement jugé que « les comptes d’associés ont pour caractéristique essentielle, en l’absence de convention particulière ou statutaire les régissant, d’être remboursables à tout moment » [2]. Et le gérant qui est dans l’impossibilité de rembourser le solde créditeur d’un compte d’associé à la suite des opérations financières hasardeuses qu’il a réalisées peut engager sa responsabilité personnelle vis-à-vis de l’associé, éventuellement pour un montant équivalent à celui du solde créditeur[3]. Certains arrêts vont d’ailleurs extrêmement loin dans le respect des prérogatives individuelles de l’associé puisqu’il est parfois affirmé que ce remboursement est en principe immédiatement exigible quelle que soit la situation financière de la société[4].
Les comptes courants d’associé se rapprochent, en cela, des comptes bancaires, qui peuvent être librement clôturés, et dont le solde créditeur final doit être restitué à première demande.
[1] https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/2020/faq-pret-garanti.pdf
[2] Com. 24 juin 1997, n° 95-20.056, Bull. civ. IV, n° 207.
[3] CA Paris, 22 mai 2008, Bull. Joly 2009. 33, note J.-P. Garçon.
[4] CA Versailles, 2 avr. 1999, Bull. Joly 1999. 1033, note Ph. Delebecque.