Les dernières décennies ont permis à la profession d’avocat de conquérir de nouveaux territoires. Arbitrage, séquestre, fiduciaire, mandataire en transaction immobilière, délégué à la protection des données personnelles ou encore mandataire d’artistes et d’auteurs sont des fonctions qui ont été ajoutées aux traditionnels conseil et contentieux judiciaire.
Il est cependant une fonction, d’apparition récente, qui semble être restée dans l’angle mort des avocats, ne serait-ce que parce qu’elle n’est à ce jour pas appréhendée par le Règlement intérieur national (RIN), à la différence de celles que nous venons de citer. Cette mission est celle d’enquêteur interne.
Cette fonction, qui peut être assumée par un avocat, est d’apparition récente. Elle est revenue sur le devant de la scène à l’occasion de l’adoption d’un dispositif de lutte anticorruption et de compliance afférente, par la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016. L’enquête interne préexistait cependant à cette loi, dans d’autres branches du droit comme le droit économique.
L’on connaît tout particulièrement l’enquête interne mise en place en présence d’une pratique anticoncurrentielle. L’enquête est, ici comme ailleurs, le moyen pour l’entreprise concernée de faire la lumière sur de possibles faits illicites mais aussi, et surtout, d’assurer la collaboration de l’entreprise avec l’autorité publique à tous les stades de la procédure et y compris à son terme lorsqu’il s’agit de contrôler l’exécution des mesures d’engagements adoptées par l’autorité. L’enquête interne devient alors un outil essentiel de la mise en conformité de l’entreprise.
L’on rencontre également l’enquête interne en matière sociale, lorsque des faits de harcèlement sont suspectés, par exemple. L’avocat enquêteur devra en ce cas constater les évènements susceptibles de recevoir une telle qualification et les communiquera à l’employeur. Au titre de son devoir de réaction[1], celui-ci devra prendre toute mesure disciplinaire pour faire cesser le trouble constaté dans l’entreprise.
Il faut préciser que l’enquête interne peut virtuellement être instaurée partout où une enquête « externe », diligentée par une autorité publique, est concevable : enquête pénale, enquête concurrentielle ou encore enquête sociale.
Dans l’exercice de cette mission d’investigation, l’avocat enquêteur, même non expressément envisagé par le RIN, reste soumis à ses prohibitions, particulièrement en matière de conflit d’intérêts. Il ne pourra par exemple pas accepter une mission d’enquête alors qu’il a pris part aux faits objet de l’enquête interne, notamment en qualité de rédacteur d’actes. De même lui sera interdite l’enquête interne lorsqu’il aura, en raison de missions précédentes, acquis des informations dont la confidentialité risquerait d’être violée dans le cadre de l’enquête.
L’enquêteur doit également se comporter comme un juge d’instruction. Il est en effet soumis à un devoir d’impartialité devant le conduire à mener son enquête à charge et à décharge[2]. La Cour d’appel de Paris a par ailleurs indiqué que l’enquête interne doit être conduite de façon « méticuleuse, paritaire et loyale »[3].
Du reste, la jurisprudence est semble-t-il particulièrement favorable à la conduite des opérations d’enquête interne et desserre l’étau que pourrait représenter, d’une part, la prohibition de la séquestration[4] et, d’autre part, le harcèlement moral[5] de la personne interrogée.
Une contrainte pèse cependant sur l’avocat enquêteur interne en matière de protection des données de son client. L’on sait que certains traitements de données présentant un risque élevé pour les droits et libertés des personnes physiques doivent être précédés d’une Analyse d’impact relative à la protection des données, et ce en vertu de l’article 35 du RGPD.
L’avocat enquêteur interne doit également être attentif à faire coïncider le périmètre et la formalisation de sa mission. Tout particulièrement lorsqu’il intervient dans un groupe de sociétés, comme cela est fréquemment le cas en matière de lutte anticorruption ou contre le blanchiment, chaque société inspectée devra mandater l’avocat enquêteur, ne serait-ce qu’à des fins de protection au titre du secret de la relation avocat/client.
Une précision importante doit, à ce propos, être faite s’agissant du périmètre du secret relatif aux opérations d’enquête et aux informations recueillies à cette occasion. L’avocat enquêteur interne reste un avocat : il est donc tenu au secret au bénéfice de son client, généralement une entreprise personne morale. Seules sont donc couvertes par le secret les informations communiquées par le représentant légal de l’entreprise, et non ses autres parties prenantes (organes de gestion non représentatifs, salariés, partenaires divers, etc.).
Le rapport d’enquête interne est en principe couvert par le secret, cette protection valant tant en présence d’une saisie au domicile ou au cabinet de l’avocat qu’au siège du client[6].
L’avocat enquêteur interne joue un rôle particulièrement original dans l’ordre juridique, qui recoupe les fonctions de nombreux auxiliaires de justice. La mission de l’avocat enquêteur est en effet au confluent de la commission de justice, de l’expertise, voire même de la conciliation. Et c’est probablement en cela que l’enquête interne menée par un avocat peut avoir pour objectif de faire cesser les troubles constatés dans l’entreprise. Une fois ces derniers établis, il pourrait être confié à l’avocat enquêteur une mission de conciliation aux fins de faire cesser un conflit entre l’employeur et un salarié, ou encore un conflit d’associés.
Cédric Dubucq accomplit des missions d’enquêteur interne pour le compte des entreprises.
[1] L’article L. 1332-4 du Code du travail fait par exemple obligation à l’employeur de prononcer une mesure disciplinaire dans les deux mois qui suivent le jour où il a pris connaissance du fait susceptible de la fonder, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.
[2] Cass. soc., 9 février 2012, n°10-26.123.
[3] CA Paris, 25 janvier 2018, n°15/08177.
[4] Il a par exemple été jugé que ne constitue pas le délit prévu à l’article 221-1 du Code pénal le fait de retenir un salarié dans un bureau sous la menace d’un licenciement était justifié dans le cadre d’une enquête interne (Crim., 28 février 2018, n°17-81.929).
[5] Il a été jugé que les « méthodes utilisées, pour désagréables qu’elles aient pu être (ainsi de l’interrogatoire mené, sans discontinuer, de 15 heures à 20 heures 30) ne sauraient caractériser un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail, même si elles ont pu avoir des conséquences sur l’état de santé [de la personne interrogée, à laquelle] un arrêt de travail a été prescrit » (CA Saint-Denis, 25 août 2009, n° 08/02071).
[6] Voy. en ce sens le Guide du CNB relatif aux enquêtes internes, juin 2020, p. 31.