Guide pratique du dépôt sécurisé d’actifs numériques
Le dépôt (dont fait partie le séquestre) d’actifs numériques est un mécanisme juridique complexe mais primordial dans le cadre des transactions impliquant des cryptomonnaies. Plus encore, la mise en place d’un dépôt est essentielle à la démocratisation des actifs numériques, notamment pour permettre leur remploi dans des opérations mobilières ou immobilières.
Ce dispositif permet de sécuriser les fonds avant la réalisation effective d’une transaction, entre les mains d’un tiers de confiance, garantissant ainsi la protection des intérêts des parties prenantes.
Par le truchement de ce guide synthétique, nous reprendrons chacune des étapes de ce processus en l’appliquant aux transactions immobilières.
Étape 1 : Identification des parties prenantes à l’opération
Le dépôt consiste à confier à un tiers (le dépositaire) des fonds ou des actifs pour sécuriser une transaction jusqu’à ce que toutes les conditions de réalisation soient remplies. Dans le cas des actifs numériques, le paiement intervient via une dation, ces derniers étant assimilés à des biens meubles incorporels (et non à une monnaie). Juridiquement, acheter un bien en cryptomonnaie est équivalent à une acquisition en or, contre un tableau, etc.
L’opération traditionnelle de dépôt s’établit donc dans le cadre d’une relation tripartite : un acheteur (déposant), un vendeur (bénéficiaire) et un dépositaire. En matière immobilière, s’ajoute une profession réglementée en la personne du notaire.
Étape 2 : Identification de la cryptomonnaie objet du paiement
Le dépôt est une opération répondant à une temporalité variable. Classiquement, le dépôt sera levé dès lors que l’ensemble des conditions de la vente sont réunies (obtention d’un accord partiel de financement, d’une autorisation administrative…). Or, la volatilité des cours à laquelle sont soumises les cryptomonnaies n’est pas nécessairement compatible avec une opération de dépôt. La somme placée entre les mains du tiers pourrait, dans cette hypothèse, considérablement varier, à la hausse comme à la baisse.
Sur ce point, le cabinet porte deux recommandations afin que le dépôt puisse être efficient. Tout d’abord, il est recommandé que la cryptomonnaie « séquestrée » soit un stablecoin, à comprendre comme tout actif numérique dont le cours est adossé à celui d’une monnaie ayant cours légal[1]. Le recours à un tel mécanisme permettra de contrer l’effet de la volatilité, pour la réduire à celle des devises.
Ensuite, notre seconde recommandation porte sur la mise en œuvre d’un système de compensation. En pratique, il pourrait être imaginé de déposer une somme supérieure à celle du seul prix de vente. Pour les stablecoins, la somme supplémentaire permettrait de couvrir les variations de la paire euro/dollar. Pour les cryptomonnaies, les fluctuations historiques étant beaucoup plus élevée, ce pourcentage sera nécessairement plus important. Une analyse au cas par cas du montant final déposé devra être menée. En toute hypothèse, le contrat base de l’opération devra prévoir la capacité pour le dépositaire de procéder à un rappel de fonds si le prix des actifs conservés devenait inférieur au prix de vente.
Ensuite, au jour de la réitération, la « quantité » d’actifs numériques est alors arrêtée pour correspondre au prix de l’opération. Le surplus est reversé à l’acquéreur et le prix de vente est transféré au vendeur, sur ordre de son représentant (avocat) ou du notaire partie à l’opération. Bien que ce mécanisme de compensation puisse apparaître comme contraignant pour l’acquéreur, il présente l’avantage d’éviter une conversion en stablecoin et donc de poursuivre une spéculation sur l’actif sous-jacent en cas de non-réalisation de la vente. Le dépôt, assimilable en pratique à un séquestre, permet donc d’éviter le déclenchement de la flat tax pour une opération vaine.
Étape 3 : La personne du dépositaire
Le dépositaire joue un rôle crucial en conservant les actifs numériques de l’acquéreur. Cette opération implique donc que le dépositaire soit enregistré en qualité de Prestataire de Service sur Actifs Numériques (PSAN)[2], la conservation pour le compte de tiers entrant dans le champ d’application de l’enregistrement obligatoire[3].
L’obtention d’un tel statut (PSAN ou agent lié) permet de garantir le respect d’un certain degré de conformité, notamment sur le plan de la lutte anti-blanchiment. Les PSAN sont soumis à des obligations strictes en la matière, notamment en incluant la vérification de l’origine des fonds (KYC/KYT). Aussi, les PSAN peuvent être titulaires de certaines assurances, permettant la protection des fonds des utilisateurs. En dernier lieu, ces acteurs opèrent sous le contrôle de l’Autorité des Marchés Financiers et présentent, en ce sens, un certain degré de garanties quant à leur légitimité pour leurs utilisateurs.
Dans le cadre de l’opération de dépôt, le PSAN est le dépositaire des fonds. Toutefois, les PSAN répondent très souvent à des processus stricts (sur leur mise à disposition de produits) ne permettant pas la mise en œuvre rapide d’un séquestre. Certaines sociétés, comme Legibloq, sont spécialisées dans ce type d’opérations et il est conseillé de se rapprocher de tels professionnels pour sécuriser votre opération notamment pour assurer l’intermédiation entre tous les acteurs de l’opération.
Étape 4 : La mise en œuvre du dépôt
La mise en œuvre du dépôt nécessite la réalisation de deux étapes liminaires :
- L’insertion d’une clause spécifique dans le compromis de vente permettant le recours à un séquestre conventionnel et, le cas échéant, le paiement en cryptomonnaie ;
- La signature d’un contrat établissant la relation entre le dépositaire et l’acquéreur.
Ce contrat acte la mise en œuvre du transfert de fonds au profit du dépositaire. Surtout, ce support engage le dépositaire à conserver les fonds et à les transférer au vendeur au jour de réalisation de l’opération. Le contrat est l’institution de la confiance accordée au tiers qu’est le dépositaire.
Temporellement, il est précisé que le contrat prévoyant le dépôt est signé postérieurement à la signature du compromis.
N.B. Certaines sommes devront nécessairement être converties en euros dans le cadre de l’opération : celles correspondant à l’indemnité d’immobilisation et celles correspondant aux honoraires du notaire (le notaire n’ayant pas la possibilité d’inscrire des cryptomonnaies dans sa comptabilité).
Étape 5 : Le débouclage de l’opération
Le contrat signé, les fonds peuvent alors être transférés au dépositaire, qui en aura la charge jusqu’au débouclage de l’opération, que celle-ci se réalise ou non.
- Option 1 : Réalisation de l’opération
Si l’ensemble des conditions de l’opération est réuni, alors l’ordre de transfert est transmis au dépositaire qui aura pour mission d’envoyer les fonds vers le vendeur. La question qui se pose est de savoir sous quelle forme sont restitués les fonds.
Cela relèvera de l’entière volonté du vendeur. Il possède la capacité d’opter pour un versement en euro ou en cryptomonnaie. Le flux variera alors selon les capacités techniques (et les aspects réglementaires) du PSAN assurant la conservation des jetons.
Pour les paiements en euro, il est impératif que le PSAN ait la possibilité d’effectuer un transfert bancaire direct vers le vendeur (en qualité de prestataire de service de paiement ou d’agent lié). Ainsi, les cryptomonnaies séquestrées sont converties en euros par la plateforme et immédiatement transférées vers un compte du vendeur (opération d’off ramp). Il est primordial que le PSAN dépositaire des fonds soit en mesure de procéder de la sorte, ce sans quoi les fonds issus de la conversion devraient transiter par un compte appartenant à l’acquéreur (ce qui priverait le dépôt de son utilité). Il s’agit d’un point à vérifier avant toute signature du contrat sous-jacent.
Dans le cas où le vendeur souhaite que le prix de cession lui soit versé en cryptomonnaie, alors il s’agit d’une simple transaction de wallet à wallet.
Notons que l’acquisition d’un bien immobilier en cryptomonnaie rend exigible le paiement de la flat tax.
- Option 2 : Échec de l’opération
Dans ce cas, les fonds sont évidemment intégralement restitués à l’acquéreur. Le transfert prend la forme d’un virement de l’adresse du wallet ouvert chez le PSAN vers un wallet appartenant à l’expéditeur des fonds.
Il est précisé que le dépôt, s’il est résilié, ne déclenche pas de fiscalité, notamment la flat tax, puisque aucun transfert de propriété n’a lieu entre le déposant et le dépositaire. Cette flexibilité contractuelle permet d’adapter l’opération de dépôt aux besoins spécifiques des parties.
Plus encore, c’est ici que réside l’intérêt du séquestre en actifs numériques. Cela évite à l’acquéreur de convertir tout ou partie de son patrimoine crypto en monnaie fiduciaire (et donc de payer la flat tax) pour une opération qui ne se réaliserait pas.
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Ainsi le dépôt d’actifs numériques est une étape cruciale de l’acquisition d’un bien immobilier. Cela permet la sécurisation de l’opération, tout en assurant la fluidité. Nous recommandons ainsi de s’adjoindre les services d’un professionnel.
Cet article a été rédigé par le Pôle Innovation du cabinet Bruzzo Dubucq à la suite de l’accompagnement réalisé auprès des équipes de Legibloq dans le développement et le lancement de leur solution.
[1] Par ex., l’USDC de Circle
[2] Ou P.S.C.A à compter de l’entrée en vigueur des dispositions du Règlement MiCa relatives aux prestataires de services sur crypto-actifs le 30 décembre 2024.
[3] Article L.54-10-2 du Code monétaire et financier