Cour de Cassation, 2ème chambre civile, 12 mai 2016, pourvoi n°15-13833
En vertu de l’article 1832 du Code civil, « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ». Il ressort de cet article que, pour être valablement constituée, une société doit toujours faire l’objet d’apports de la part des associés fondateurs, mais aussi des associés entrants.
L’apport est le contrat par lequel l’associé affecte un bien ou un droit à la société en contrepartie de la remise de titres sociaux. Tout aspirant associé doit apporter une somme d’argent, un bien ou son talent. C’est par l’acte d’apport que les associés scellent le pacte social et manifestent leur volonté d’y adhérer, autrement dit leur affectio societatis. Ils rendent également possible l’accomplissement de l’entreprise commune qui constitue l’objet de la société.
Le total de la valeur des apports donne la mesure du capital social qui est un instrument essentiel du fonctionnement sociétaire. L’absence d’apports est sanctionnée par la nullité de la société, mais elle est très rare. En revanche, les apports fictifs, dénués de toute valeur et de toute utilité, sont plus fréquents (ex : apport d’un brevet périmé).
Face à cette obligation, se pose la question de savoir quand les apports, notamment en numéraire, doivent être libérés. Une distinction s’impose alors : tandis que, dans les sociétés de personnes, la libération (versement concret de l’apport) peut être repoussée via une clause du contrat de société, les textes imposent, dans les sociétés de capitaux, de verser immédiatement une quote-part à la signature des statuts, le reste devant être libéré dans les cinq ans.
En tout état de cause, l’article 1843-3 du Code civil pose que « Chaque associé est débiteur envers la société de tout ce qu’il a promis de lui apporter en nature, en numéraire ou en industrie ». En promettant d’apporter, l’associé s’engage, et s’oblige alors envers la société. Se pose dès lors la question de savoir comment est sanctionné le défaut de libération du capital promis par l’associé ?
En particulier, s’est posée, dans un arrêt de la 2ème chambre civile du 12 mai 2016, la question de savoir si un tel incident de paiement pouvait faire l’objet d’une saisie-attribution, mais aussi quelle devait être la sanction d’une saisie-attribution pratiquée après la date de cessation des paiements, et ce en l’absence de procédure collective.
I. Le capital social non-libéré : une créance de la société à l’égard de ses associés ?
Le demandeur au pourvoi invoquait, pour sa défense, le fait qu’une saisie-attribution, intervenue avant l’ouverture d’une procédure collective ouverte à l’encontre du débiteur, est dépourvue de tout effet, et que « seule la procédure légale d’appel de fonds par la gérance rend exigible le solde du capital non libéré »; de sorte qu’en l’absence d’un tel appel de fonds, la créance de la société sur ses associés n’existe qu’en germe dans son patrimoine, et ne peut dès lors faire l’objet d’une saisie.
La Cour de cassation ne se range toutefois pas derrière les arguments invoqués par le demandeur, retenant que « le capital social non libéré est une créance de la société contre ses associés pouvant faire l’objet d’une saisie de la part d’un créancier de cette société ». La Cour de cassation affirme ici logiquement, au regard de l’article 1843-3 du Code civil, que l’appel de fonds non libérés lors de la constitution de la société, par le gérant, ne conditionne pas la naissance de la créance de la société à l’égard de ses associés, mais ne fait que fixer la date d’exigibilité de la créance. De sorte que l’associé est débiteur de l’obligation d’apports dès la constitution de la société, et que la créance est saisissable avant même l’appel de fonds.
II. Le caractère facultatif de la nullité d’une saisie-attribution pratiquée après la date de cessation des paiements
Contestant la saisie effectuée par la société, l’associé invoque, dans un second temps, le moyen selon lequel « toute saisie attribution peut être annulée lorsqu’elle a été pratiquée par un créancier à compter de la date de cessation des paiements du débiteur et en connaissance de celle-ci », en vertu de l’article L. 632-2 du Code de commerce. Il fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir donné plein effet à cette saisie-attribution au motif inopérant que la faculté (dont elle reconnaissait ainsi l’existence) de demander l’annulation de saisies-attribution pratiquées après la date de cessation des paiements n’avait pas été exercée, de sorte que la cour d’appel avait violé les dispositions de l’article L. 632-2 du code de commerce.
Toutefois, la Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel : elle retient le fait que l’annulation d’une saisie-attribution pratiquée après la date de cessation des paiements n’est qu’une faculté dont jouit le tribunal chargé de la procédure collective, faculté qu’il n’est pas obligé d’exercer. Qu’ainsi le moyen tiré de cette nullité était sans portée.
La Cour de cassation reconnait, par ce biais, la compétence exclusive du tribunal saisi de la procédure collective quant à la nullité des actions tendant à la mainlevée d’une saisie-attribution, ce qu’elle avait déjà fait valoir dans des arrêts antérieurs[1]. Faisant application de l’article L. 632-4 du Code de commerce en vertu duquel « L’action en nullité est exercée par l’administrateur, le mandataire judiciaire, le commissaire à l’exécution du plan ou le ministère public », la Cour de cassation a jugé en l’espèce que la Cour d’appel avait les pouvoirs du juge de l’exécution, et qu’elle était libre de ne pas annuler la saisie-attribution réclamée par la société créancière.
[1] Cass. com., 29 avril 2014