Cet article est le premier d’une série d’articles portant sur la gestion patrimoniale et matrimoniale des cryptomonnaies.
Plus de trois millions de français possèdent des cryptomonnaies, et celles-ci représentent pour certains une part prépondérante de leur patrimoine global.
Pourtant, pour beaucoup, ce trésor demeure dans le monde virtuel, les investisseurs préférant conserver leur butin sous forme de cryptomonnaies, plutôt que de le convertir en monnaie fiduciaire ou de l’investir dans des placements moins volatiles, afin d’éviter d’avoir à payer l’impôt sur la plus-value – souvent significative – qui grève leur portefeuille.
Dans ce contexte, la donation-cession de cryptomonnaies peut présenter un double intérêt fiscal, à la fois de purge des plus-values latentes, et d’anticipation de la transmission. Toutefois, une telle opération doit être réfléchie avec attention, pour éviter les écueils civils et fiscaux qu’elle peut entraîner.
La donation comme outil de purge des plus-values sur cryptomonnaies
En vertu de l’article 150 VH bis du CGI, seules sont imposables les cessions à titre onéreux d’actifs numériques. Les donations ne sont donc pas un fait générateur de l’impôt pour le donateur (celui qui donne).
Du côté du donateur, les cryptomonnaies acquises rentreront dans sont portefeuille fiscal pour la valeur qui a été déclarée lors de la donation. Il pourra donc les convertir immédiatement en euros, sans aucune plus-value, notamment si la donation a été réalisée en stablecoins.
De plus, certaines donations bénéficient d’un abattement permettant de donner une partie de son portefeuille en franchise d’impôts, le plus utilisé étant l’abattement pour donation en ligne directe, qui permet à chaque parent de donner, tous les 15 ans, jusqu’à 100 000 € de son patrimoine à ses enfants, en franchise de droits.
Ainsi, un couple marié sous le régime de la communauté avec deux enfants, qui possède un portefeuille de cryptomonnaies commun, pourra donner jusqu’à 400 000 € (100 000 € par parent et par enfant) en franchise de droits, et purger les plus-values latentes qui pèsent sur leurs cryptomonnaies par la même occasion.
Cet effet de purge est également applicable pour tous types d’actifs, notamment des titres de société, mais est particulièrement intéressant en matière de cryptomonnaies compte tenu de la prise de valeur fulgurante de certains portefeuilles en un laps de temps très réduit.
Le piège fiscal de la donation-cession aux enfants mineurs
Si la donation de cryptomonnaies est un puissant outil de gestion patrimoniale et fiscale d’un portefeuille de cryptomonnaies, son effet de purge peut être atténué si le bénéficiaire est un enfant mineur et que l’opération n’est pas suffisamment préparée.
Pour rappel, la plus-value imposable lors de la cession d’actifs numériques revient à déduire du prix de cession une quote-part du prix total d’acquisition du portefeuille, la formule pouvant être résumée par la formule suivante :
Plus-value imposable = Prix de cession – Prix total d’acquisition x (Prix de cession / Valeur globale du portefeuille)
De plus, contrairement à la plupart des régimes d’imposition des plus-values, les plus-values sur cryptomonnaies s’apprécient non pas au niveau de chaque cédant, mais au niveau du foyer fiscal. Ainsi, l’appréciation du prix total d’acquisition et de la valeur globale du portefeuille se fait par foyer fiscal, et non pas par individu (BOI-RPPM-PVBMC-30-20 n°70 et n°140).
Prenons un exemple :
Depuis 2017, M. X, marié sous le régime de la communauté, a dépensé 50 000 € d’argent commun dans l’acquisition d’un portefeuille de cryptomonnaies. En 2022, son portefeuille s’élève à 700 000 €. Lui et son épouse envisagent de faire une donation de 400 000 € à leurs deux enfants mineurs, pour leur constituer une épargne tout en utilisant les abattements légaux de 100 000 € par parent et par enfant. Soucieux de bien faire, le don est déclaré à l’administration fiscale, et les cryptomonnaies données aux enfants sont immédiatement converties en euros après la donation et déposées sur un compte ouvert au nom des enfants.
M. X pense que cette opération n’entraine aucune conséquence fiscale, la donation ayant « purgé » la plus-value. Pourtant, s’il ne déclare aucune plus-value sur sa déclaration de revenus 2022, M. X s’expose à un contrôle fiscal.
En effet, fiscalement, voici comment M. X aurait dû calculer la plus-value réalisée sur les 400 000 € convertis au profit des enfants :
1° Avant la donation, le prix total d’acquisition du foyer était de 50 000 € et la valeur globale du portefeuille de 700 000 €.
2° La donation a augmenté le prix total d’acquisition des cryptomonnaies des enfants du montant soumis aux droits de donation, c’est-à-dire de 400 000 €. Elle a aussi réduit le prix d’acquisition des parents de la fraction du capital initial qui se rapporte aux cryptomonnaies données, soit 50 000 x (400 000 / 700 000) = 28 571 €.
Le prix d’acquisition global du foyer est donc de 400 000 € (enfants) + 50 000 € (prix d’acquisition d’origine des parents) – 28 571 € (quote-part réduite lors de la donation) = 421 429 €.
3° Lors de la conversion des 400 000 € de cryptomonnaies en euros, la valeur globale du portefeuille du foyer était toujours de 700 000 € (400 000 pour les enfants et 300 000 pour les parents). Le prix d’acquisition, lui, était de 421 429 €.
La plus-value imposable est donc de 400 000 – 421 429 x (400 000 / 700 000) = 400 000 – 240 817 = 159 183 €.
Ainsi, le foyer de M. X devra reporter 159 183 € de plus-value sur actifs numériques sur sa déclaration de revenus 2022 à cause du mécanisme de lissage de la purge des plus-values prévu à l’article 150 VH bis du CGI.
Ce mécanisme de lissage ne s’applique bien entendu que lorsque le donateur et le donataire appartiennent au même foyer fiscal. Des stratégies permettent d’en limiter les effets négatifs, mais cet exemple démontre que le diable se cache dans les détails, et qu’une opération optimisante peut avoir des conséquences dommageables lorsqu’elle est mal préparée.
Le Cabinet BRUZZO DUBUCQ, intervenant en fiscalité patrimoniale, accompagne les dirigeants et les investisseurs dans la structuration fiscale de leur patrimoine personnel ou professionnel, financier ou immobilier, et se tient à votre disposition pour approfondir ces sujets lors d’un premier rendez-vous de rencontre.