SORARE est une start-up française qui a développé un concept mêlant les nouvelles technologies et le monde du sport, particulièrement celui du football. Par l’intermédiaire d’une plateforme, SORARE propose aux utilisateurs d’acquérir des cartes virtuelles, proposées sous la forme de NFT, et représentant les joueurs de football afin de les collectionner, les revendre ou encore de les utiliser dans le cadre de « SO5 », le jeu développé par la licorne française. SORARE a très rapidement rencontré un certain succès auprès des fans de football, le plaçant sous le feu des projecteurs et lui permettant de réaliser une levée de fonds de 680 millions de dollars. Toutefois, cette ascension fulgurante pose certaines interrogations, et notamment sur le plan juridique.
I. SORARE et le droit à l’image
Le droit à l’image des sportifs professionnels, et plus particulièrement des footballeurs, a fait l’objet d’une actualité brûlante au début de l’année 2022. En effet, plusieurs sportifs ont contesté l’exploitation de leur image par l’entreprise privée PANINI en considérant d’abord qu’ils ne lui ont jamais consenti le droit d’exploiter leur image mais surtout qu’ils n’en retirent aucun profit puisque, à titre d’illustration, un footballeur de Ligue 1 ne touche que 200€ reversé par l’UNFP pour l’exploitation de son image.
La problématique de la cession par le joueur du droit à exploiter son image est régie par l’article 280 de la Charte du Football Professionnel, lequel dispose que :
« Le joueur donne l’autorisation à son club d’utiliser son image et/ou son nom reproduits d’une manière collective et individuelle sous réserve que 5 joueurs au moins de l’effectif soient exploités d’une manière rigoureusement identique.
Par ailleurs, l’édition, la représentation ou l’utilisation de l’image individuelle et collective de joueurs professionnels évoluant en France et regroupant simultanément plusieurs joueurs de plusieurs clubs, ne pourront être réalisées qu’avec l’accord et au profit de l’UNFP. Ces réalisations pourront faire état de symboles et marques des clubs dont les joueurs sont issus. »
D’aucuns considèrent ce régime comme totalement déséquilibré puisque les footballeurs demeurent dans l’impossibilité de négocier directement auprès des sociétés privées les conditions d’exploitation commerciale de son image tandis que l’UNFP en retire d’énormes profits.
Après le scandale « Panini », la question du concept de SORARE au regard du droit à l’image des joueurs s’est rapidement posée. En effet, SORARE exploite l’image et, in fine, la notoriété des joueurs, par l’élaboration de cartes les représentant sous la forme de NFT. La rareté de la carte, sa performance dans le jeu et, plus généralement, sa valeur marchande va donc dépendre des éléments attachés à sa notoriété lesquels résultent de ses performances sportives.
Sur ce point, SORARE a su se distinguer en ce qu’elle s’adresse directement aux clubs ainsi qu’aux fédérations, afin de concilier l’intérêt des fans de football d’une part et l’intérêt des joueurs d’autre part en leur conférant un réel avantage financier tiré de l’exploitation de leur image.
II. SORARE : will you Win a Max ?
SORARE a également développé un jeu appelé « SO5 » afin d’attribuer une autre fonctionnalité aux cartes acquises par les utilisateurs. Le jeu « SO5 » se déroule comme suit : à une fréquence régulière et définie par SORARE, les utilisateurs peuvent composer leur équipe de football avec les cartes acquises afin d’affronter d’autres équipes lors de tournois organisés par SORARE.
Les résultats des matchs reposent sur un système de points, calculés en fonction des performances réelles des joueurs lors des matchs joués. Ainsi, lorsqu’un footballeur réalise une bonne performance au cours d’un match, le détenteur de la carte représentant ledit footballeur marque un certain nombre de points, lequel peut varier selon la rareté de la carte détenue. L’équipe qui marque le plus de points gagne le match. Enfin, le vainqueur du tournoi obtient ensuite une récompense qui peut être soit une nouvelle carte, soit une somme de cryptomonnaie payée en éther.
Toutefois, la question de la qualification de SO5 en « jeu d’argent » pourrait éventuellement se poser, comme cela a pu être le cas en Angleterre, où l’UK Gambling Commission, autorité en charge de la surveillance des paris sportifs, a lancé une enquête à l’encontre de la start-up française en octobre 2021.
En droit français, la régulation des jeux d’argent est relativement stricte. La notion de jeu d’argent est définie par l’article L.320-1 du Code de la sécurité intérieure comme « toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé de la part des participants ». Par principe, le jeu d’argent est prohibé par le législateur sauf quelques exceptions strictement posées par l’article L.320-6 du Code de la sécurité intérieure, au rang desquelles figurent notamment les paris sportifs en ligne.
Le secteur des paris sportifs en ligne est règlementé par la loi n°2010-476 du 12 mai 2010. À la lecture de cette loi, tout organisme qui exploite une activité de jeu de hasard et de paris en ligne doit obtenir un agrément au préalable.
Ainsi, la qualification de « jeux d’argent et de hasard » au sens de l’article L.320-1 du Code de la sécurité intérieure suppose la réunion de trois conditions, à savoir une opération offerte au public, sous quelque dénomination que ce soit (1), l’espérance d’un gain qui serait dû au hasard (2) et enfin un sacrifice financier au préalable exigé de la part des participants (3).
S’agissant de la première condition, SO5 pourrait constituer une opération offerte au public, puisque le jeu est accessible à tout utilisateur dès lors que ce dernier est âgé de plus de 18ans. Il s’agit d’un jeu proposé via la plateforme SORARE, et vise le public de manière générale, et particulièrement les personnes présentant un intérêt particulier pour le football.
S’agissant de la seconde condition, SO5 organise le jeu sous la forme de tournois et propose au gagnant soit une nouvelle carte, soit de l’Éther. Cette récompense présente alors l’espérance pour le joueur d’un certain gain en cas de victoire du tournoi organisé par SORARE.
Ainsi, ce gain doit être dû au hasard. Or, il convient d’apprécier le fonctionnement de SO5 pour en déduire l’existence d’un tel aléa. SO5 impose aux utilisateurs de constituer une équipe composée de 5 cartes, et cette équipe rencontrera l’équipe d’autres utilisateurs. L’équipe qui obtient le plus de points gagne le match.
Toutefois, les points sont attribués selon les performances réelles des joueurs. En conséquence, le gain attendu par l’utilisateur repose sur l’aléa sportif, que l’on peut retrouver par exemple dans les paris sportifs. Or, dans SO5, l’utilisateur ne saurait affirmer à l’avance la prestation délivrée par le sportif, et la chance du gain ne repose pas sur ses propres capacités mais effectivement sur les performances réelles du joueur sur lequel il a misé en l’alignant dans son équipe. Par conséquent, la reconnaissance de l’aléa sportif dans SO5 pourrait également être caractérisée.
S’agissant enfin de la dernière condition, l’alinéa 3 de l’article L.320-1 du Code de la sécurité intérieure précise que cette condition de sacrifice financier préalable est établie « dans le cas où une avance financière est exigée de la part des participants, même si un remboursement ultérieur est rendu possible par le règlement du jeu ». Cette condition serait, sans nul doute, la plus complexe à satisfaire du fait de l’organisation du jeu SO5. Lors de la création d’un compte SORARE, la plateforme attribue à l’utilisateur une dizaine de cartes pour commencer. Ainsi, il est possible de jouer à SO5 sans procéder au moindre paiement.
Or, les tournois organisés par SORARE se répartissent par niveaux de difficulté, si bien que l’utilisateur ne peut accéder qu’au premier niveau avec les cartes qui lui ont été attribuées d’office. S’il désire accéder aux niveaux supérieurs, il se retrouve dans l’obligation d’acquérir de nouvelles cartes grâce à une monnaie ayant cours légal ou une cryptomonnaie. Dans cette dernière hypothèse, l’avance financière pourrait alors être caractérisée, et la condition serait alors remplie.
III. SORARE et la règlementation PSAN
La plateforme SORARE permet aux utilisateurs de revendre leurs cartes, présentées sous forme de NFT, aux autres utilisateurs via un système d’enchères. Également, les utilisateurs de SORARE ont la possibilité d’échanger leurs cartes entre eux. En conséquence, l’appréciation des fonctionnalités de SORARE interroge sur la nécessité pour la licorne française d’obtenir le statut de prestataire de service sur actif numérique (dit PSAN).
L’article L.54-10-2 du Code monétaire et financier énonce une liste limitative des services nécessitant l’obtention du statut PSAN pour le prestataire exploitant une telle activité. Parmi ces services, l’on retrouve notamment le service d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal ou encore l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques.
À ce titre, la notion d’actif numérique est définie, par renvoi de l’article L.54-10-1 du Code monétaire et financier, à l’article L.552-2 du code éponyme comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».
Appliquée au concept développé par SORARE, l’interrogation demeure. En effet, la question de la qualification de la carte comme actif numérique fait l’objet de débat, et conditionne la nécessité pour la licorne française d’obtenir le statut PSAN. Pour que le NFT constitue un actif numérique au sens des textes, il doit représenter un ou plusieurs droits. À défaut, le NFT sera qualifié de bien meuble incorporel, et la règlementation attachée au statut PSAN ne trouvera à s’appliquer.
En l’espèce, la carte proposée par SORARE satisfait-elle cette condition ? Si la carte achetée par un utilisateur lui offre la possibilité d’accéder aux tournois mis en place par SORARE, lui accorde-t-elle un réel droit et, plus largement, la qualité de créancier à l’encontre de SORARE ?
Cette interrogation subsiste, bien qu’à première vue, le principal (le seul ?) service spécifique accordé par la carte n’est autre que le droit d’accéder au jeu SO5, ce qui permettrait alors de considérer, avec la plus grande précaution, qu’il s’agit effectivement d’un actif numérique au sens des textes nécessitant la délivrance du statut PSAN.
En conclusion, SORARE ne cessera d’attirer la lumière sur son activité au cours des prochains mois, mais également les regards des experts les plus avisés, et demeure dans l’attente d’un éventuel carton jaune délivré par l’UK Gambling Commission. Affaire à suivre…