La physique quantique anime l’intérêt de nos chercheurs depuis plus d’un siècle mais reste entourée de beaucoup de questions et d’applications non résolues.
Encore mal comprise par les plus grands spécialistes, elle sonne souvent comme un concept purement abstrait voire philosophique à l’oreille des non-initiés (juristes compris). Pourtant, bien plus qu’une simple théorie, la physique quantique a déjà permis l’invention de nombreux outils du quotidien tels que le GPS ou les transistors, les lasers ou les IRM.
Aujourd’hui, une seconde révolution quantique est en marche, et elle ne se veut pas industrielle mais informatique. En septembre 2019, Google provoquait un boom médiatique lorsqu’une de ses équipes de chercheurs annonçait avoir atteint la suprématie quantique, en réalisant avec un processeur quantique un calcul en trois minutes qui aurait pris 10 000 ans au plus puissant des ordinateurs classiques actuels.
Dès maintenant, il est nécessaire d’envisager les impacts de la physique quantique en droit des affaires : à ceux qui pensent que ces sujets n’intéresseront pas la pratique de l’avocat d’affaires, détrompez-vous !
D’une part, le droit doit être adapté, rapidement, pour être un support de l’essor des technologies quantiques, en encadrant et soutenant l’évolution économique et technologique qu’elles entraineront indéniablement.
D’autre part, la physique quantique peut, à son tour, être au service de la pratique du droit des affaires, en offrant à l’avocat et aux entreprises qu’il conseille de nouvelles perspectives de travail plus efficaces et plus sécurisées, essentielles dans un monde où productivité et innovation sont les maîtres mots d’un business gagnant.
Brève introduction à la physique et à l’informatique quantique
La physique quantique est l’étude physique des particules infiniment petites comme les atomes, les électrons ou les photons. Ces particules obéissent à des lois qui sont différentes de la physique des objets que nous connaissons dans la vie de tous les jours.
Les enjeux technologiques actuels sont essentiellement basés sur deux propriétés quantiques des particules que sont l’intrication et la superposition.
La superposition est un concept traduisant le fait que les particules microscopiques peuvent se trouver dans plusieurs états en même temps, sans qu’il soit possible d’affirmer lequel sans passer par une phase d’observation. En informatique traditionnelle, l’unité de base de calcul est le bit, qui peut prendre une valeur de 0 ou de 1, ce qui limite les possibilités de calcul des ordinateurs actuels. Avec l’ordinateur quantique, les ingénieurs parviennent à créer des bits quantiques (qubits) qui peuvent se trouver à la fois dans l’état de 0 ou de 1.
L’intrication est une autre propriété des particules microscopiques qui les lie entre elles sans aucune interaction physique. Si une particule qui peut prendre un état A ou B est intriquée avec une autre particule, l’état de la première influera automatiquement sur l’état de la seconde même à des milliers de kilomètres de distance, sans aucun contact entre elles. Selon le mode d’intrication, les particules auront alors soit forcément le même état, soit forcément deux états opposés, sans que le hasard n’ait sa place dans la détermination de l’état de l’une par rapport à l’autre. En informatique quantique, l’intrication permet de faire « communiquer » les qubits intriqués entre eux, de sorte que l’information traitée par un est traitée simultanément par tous les autres.
La combinaison de ces propriétés permet aux ordinateurs quantiques d’avoir, avec n qubits, la puissance de calcul théorique de bits. Par exemple, un ordinateur quantique pourrait réaliser, avec 50 qubits, un calcul qui nécessiterait plus d’un million de milliards de bits, lui permettant de résoudre des problèmes qui prendraient des milliers d’années aux plus puissants supercalculateurs.
Face aux enjeux et aux possibilités que soulèvent ces technologies, le juriste d’affaires ne peut pas fermer les yeux, et il convient d’anticiper dès aujourd’hui les évolutions du quantique pour permettre au droit de les soutenir et de les encadrer.
Le droit des affaires au service de la physique quantique
- Le droit doit être un support de l’innovation quantique
Le droit des affaires doit impérativement être adapté pour soutenir l’industrie de la technologie quantique, et notamment en France, au risque de voir d’autres acteurs s’emparer du marché et prendre une avance qui aurait non seulement un impact économique, mais aussi sécuritaire. En effet, les détenteurs de la technologique quantique seront susceptibles, outre de centraliser les profits – potentiellement colossaux – qui seront générés par ces technologies (enjeu économique), d’être à même de décrypter certaines clés de chiffrement actuellement utilisées en matière de protection des communications (enjeu sécuritaire).
Dans ce contexte, le rôle de l’avocat d’affaires et du droit en général doit être d’accompagner les entrepreneurs et les start-ups qui souhaitent se lancer dans l’aventure du quantique pour soutenir l’industrie française en la matière.
Le gouvernement français semble prendre conscience de ces enjeux puisqu’un récent rapport a été publié en janvier 2020, lequel formule différentes propositions visant à renforcer les centres de recherche français dans le domaine du quantique, et à multiplier les aides financières aux entrepreneurs souhaitant (s’)investir dans le quantique.
L’avocat d’affaires, au service de l’entreprise et de l’innovation, apparaît comme le support privilégié de l’entrepreneur dans la structuration des entreprises quantiques de demain, et la recherche de financements indispensables au développement de ces technologies.
- Le droit doit encadrer l’utilisation des technologies quantiques
Autre volet de l’accompagnement de la technologie quantique par le droit des affaires : il sera impératif de créer un environnement juridique adapté à la technologie quantique de demain.
Renforcement des protections juridiques des données et de la confidentialité, régulation des abus concurrentiels en la matière, sécurisation du savoir-faire et des brevets de technologie quantique, sont autant d’enjeux que le droit des affaires doit saisir pour permettre de protéger les chercheurs, les entreprises et les consommateurs des éventuels abus qui pourraient naître de l’utilisation de ces technologies.
Des propositions sont en cours de discussion au niveau national et européen, et aboutiront, espérons-le, à un environnement permettant à la technologie quantique de se développer efficacement dans le cadre protecteur fondamental qui devra être mis en place à son égard.
En attendant, les praticiens du droit des affaires doivent d’ores et déjà mettre le droit commun des affaires au service des entrepreneurs et des utilisateurs des premières technologies informatiques quantiques, pour commencer à poser les premières pierres de l’édifice juridique qu’il conviendra de mettre en place pour accueillir les technologies quantiques.
La physique quantique au service du droit des affaires
- Physique quantique, blockchain et transactions cryptées
Le développement des technologies quantiques aura d’abord un impact révolutionnaire sur les techniques de cryptographies, en étant à la fois leur pire ennemi et leur meilleur espoir de croissance.
En effet, les techniques de cryptographie actuelles sont basées sur des clés de chiffrement, éventuellement asymétriques (clé publique-clé privée, comme dans le cas d’une blockchain par exemple), dont la sécurité repose sur la difficulté de résolution de problèmes mathématiques complexes (factorisation de nombres premiers, courbes elliptiques etc.).
Toutefois, ces problèmes mathématiques aujourd’hui très complexes à résoudre pour un ordinateur seront peut-être demain aisément hackable par un ordinateur quantique doté d’une puissance de calcul qui dépasse de très loin les supercalculateurs actuels. La technologique quantique pourrait donc mettre à mal beaucoup de technologies qui sont utilisées en droit des affaires pour sécuriser les transactions (blockchain, serveurs sécurisés, data-rooms cryptées etc.).
Cependant, la technologie quantique pourra être la solution au problème qu’elle engendrera, puisqu’elle est susceptible de permettre la création de protocoles de cryptographie plus sophistiqués permettant à deux individus de produire une clé secrète aléatoire partagée par un canal quantique. L’intérêt d’un tel protocole est que la transmission de la clé par un canal quantique est susceptible de garantir qu’elle ne soit pas interceptée lors de sa transmission (le principe de l’intrication est que les particules « communiquent » sans aucun contact ni lien tangible entre elles).
En outre, même la cryptographie classique ne mourra pas pour autant, puisque les ordinateurs quantiques seront certes, à même de résoudre des problèmes mathématiques plus complexes, mais ils seront également capables de générer de nouveaux problèmes mathématiques encore plus complexes pour protéger le chiffrement des communications.
L’avocat d’affaires de demain devra être d’autant plus sensible sur les sujets de chiffrement des données pour continuer d’assurer la sécurité, la traçabilité et la confidentialité des transactions économiques dans un contexte où l’actualité démontre chaque jour l’importance de la protection du secret des affaires et du suivi des opérations financières et la prudence dont doivent faire preuve les acteurs du monde économique en la matière.
- Physique quantique et justice prédictive
La justice prédictive n’a pas attendu le quantique pour faire ses débuts, et déjà de nombreuses LegalTech se sont déjà lancées dans l’ambitieux projet de développer des algorithmes capables de lire, comprendre, et analyser le droit et les décisions jurisprudentielles pour prédire, avec un certain degré de probabilité, la décision qui serait rendue par tel ou tel tribunal pour un cas donné.
Aujourd’hui, la justice prédictive continue de progresser mais risque rapidement de se heurter aux mêmes difficultés que celles rencontrées dans d’autres domaines de la data-analyse et de l’intelligence artificielle. La quantité de données à assimiler, et les protocoles informatiques nécessaires pour que la machine puisse, a minima, « lire » et « comprendre » une décision de justice, nécessitent déjà une forte puissance de calcul, sans parler du fait que la justice prédictive doit intégrer du machine learning, permettant à la machine d’apprendre par elle-même et donc de renforcer son efficacité.
La puissance de calcul promise par la technologie quantique pourrait permettre aux algorithmes de machine learning et de deep learning d’atteindre des performances bien supérieures aux intelligences artificielles actuelles, et ces intelligences artificielles pourront utilement être mises à profit par l’avocat d’affaires dans le cadre d’analyses et d’audits de données en masse (big data) ou de justice prédictive, afin de conseiller au mieux ses clients sur l’opportunité d’une opération ou d’une action en justice.
Conclusion : l’avocat d’affaires à l’ère du quantique
Le développement de la physique quantique démontre encore une fois la nécessité pour l’avocat d’affaires de s’intéresser au monde qui l’entoure et de mettre à profit l’évolution technologique qui s’offre à lui.
La technologie quantique ne remplacera pas l’avocat d’affaires, mais elle l’incitera à recentrer son cœur de métier sur l’essence même de la profession : humanité, ingéniosité et adaptabilité.
Le praticien du droit pourra alors développer une relation quasi symbiotique – réciproquement profitable – avec la physique quantique, en s’appuyant sur ces technologies pour exercer sa profession, tout en étant un acteur essentiel de leur essor.