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Virginie Cadouin

Virginie Cadouin

Baptiste Daligaux

Baptiste Daligaux

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10/09/2025

Rachat d’entreprise et risque pénal : de la bonne utilisation des informations confidentielles tirées d’un audit

La Cour de cassation, dans un récent arrêt en date du 25 juin 2025 (n°21-83.384), apporte une clarification jurisprudentielle significative concernant la qualification des informations confidentielles issues des audits réalisés dans le cadre des négociations précontractuelles de rachat d’une société.

Le risque pénal qui pèse sur celui qui utiliserait ces informations à la suite d’une rupture des pourparlers s’en trouve très fortement accru.

Consécration de l’application de l’abus de confiance à un détournement des informations de « due diligence »

Dans ce qui revêt tous les aspects d’un attendu de principe, la Chambre criminelle vient poser le principe selon lequel des informations transmises dans le cadre d’un audit de pré-acquisition peuvent constituer un bien immatériel susceptible de détournement et donc consommer l’infraction pénale d’abus de confiance au sens de l’article 314-1 du code pénal. Cette position censure logiquement l’approche restrictive de la chambre de l’instruction qui avait considéré que ces informations immatérielles « (…) ne sont, par nature, pas susceptibles d’une remise précaire et donc de servir de fondement à l’infraction d’abus de confiance ».

Sur ce point, la solution était prévisible tant il est acquis que la catégorie des « biens quelconques », visée à l’article 314-1 du code pénal, ne se limite pas aux biens corporels. Rien ne s’oppose à ce que l’on admette que les meubles incorporels puissent être détournés de leur affectation ou de leur finalité et, ainsi, entrer dans les prévisions du texte sanctionnant l’abus de confiance. Peuvent ainsi être sanctionnés par le biais du droit pénal des affaires, le détournement d’une idée de projet par un salarié (Crim. 22 sept. 2004, n°04-80.285), l’utilisation d’une connexion Internet fournie dans le cadre d’un contrat de travail pour consulter des sites pornographiques (Crim. 19 mai 2004, n°03-83.953), l’utilisation frauduleuse des codes d’accès informatiques pour s’introduire dans un système de traitement automatisé des données (Crim. 19 mars 2014, n°12-87.416) ou encore du temps de travail employé pour accomplir des tâches autres que celles prévues au contrat (Crim. 19 juin 2013, n°12-83.031).

La portée de cette reconnaissance : gare à l’utilisation des données issues de la phase d’audit

Cette qualification pénale des informations issues des pourparlers précontractuels s’inscrit dans la jurisprudence constante selon laquelle l’abus de confiance peut porter sur « tout bien susceptible d’appropriation, en ce compris les biens incorporels ou immatériels« . Ce faisant, la Chambre criminelle poursuit une adaptation nécessaire du droit pénal des affaires aux réalités économiques contemporaines, l’information constitue un actif stratégique majeur, particulièrement dans le contexte des opérations de rachats d’entreprises ou de fusions-acquisitions.

La référence spécifique aux audits de « due diligence » revêt une importance particulière.Ces procédures, inhérentes aux transactions d’entreprises, impliquent la transmission d’informations hautement confidentielles sur la situation financière, commerciale et stratégique de la cible.

Leur détournement peut causer un préjudice économique considérable et fausser les conditions de concurrence.

Le signal est clair. Si le potentiel cessionnaire a évidemment besoin d’accéder à des informations essentielles sur la « santé » de l’entreprise qu’il projette de racheter, il ne saurait néanmoins abuser de la confiance que le cédant lui a octroyé en lui dévoilant des composantes de son activité aussi sensibles.

Dit autrement, les informations obtenues par un éventuel acquéreur devant être considérées comme des biens immatériels, leur utilisation à des fins différentes de ce pourquoi elles ont été transmises est pénalement sanctionnée puisqu’il s’agit d’un détournement de la finalité initialement fixée à cette remise.

Au cas d’espèce, la Cour de cassation indique que tel aurait été le cas si les « due diligence » avaient été employées dans un cadre autre que celui du rachat de l’entreprise dont elles proviennent.

Pour prendre des exemples simples, un tel détournement résulterait notamment de la vente des informations à un concurrent ou la création d’une entreprise concurrente en tirant profit de ces enseignements.

Exclusion de l’abus de confiance faute de détournement caractérisé

Il résulte de l’ensemble que le délit d’abus de confiance n’est toutefois pas constitué dès lors que ces informations n’ont pas été utilisées pour un but autre que celui pour lequel elles ont été remises, à savoir, dans l’arrêt du 25 juin 2025, le rachat de l’entreprise.

La Cour de cassation valide ainsi l’analyse des juges de la cour d’appel : les informations obtenues lors des audits ont été utilisées conformément à leur finalité initiale, l’acquisition de l’entreprise, nonobstant l’évolution des modalités entre le projet initial de rachat de participation et l’acquisition finale d’actifs pendant la procédure de liquidation judiciaire.

Cette interprétation téléologique du détournement privilégie la nature générale de l’opération sur les modalités techniques spécifiques de sa mise en œuvre, préservant la sécurité juridique des transactions commerciales complexes.

D’aucuns conviendront néanmoins que la frontière est ténue et donc risquée le cessionnaire qui s’y hasarderait…

Un autre fondement pénal envisageable pour les négociations commerciales : l’escroquerie

Le droit pénal des affaires est riche d’infractions permettant de sanctionner les comportements « malhonnêtes » qui accompagneraient des négociations commerciales. Tel est par exemple le cas du délit d’escroquerie, prévu à l’article 313-1 du Code pénal, qui sanctionne notamment l’emploi de manœuvres frauduleuses permettant de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque.

A la lecture des éléments constitutifs de cette infraction, on comprend qu’une telle qualification pénale ait été logiquement envisagée par les demandeurs au pourvoi, c’est-à-dire les cédants. Ces derniers soutenaient que les cessionnaires s’étaient livrés à des manœuvres frauduleuses consistant à se prétendre faussement intéressés par le rachat de l’entreprise, afin d’obtenir les informations tirées de l’audit et finalement en tirer profit pour racheter l’entreprise à vil prix lors de sa liquidation judiciaire.

Dans une telle hypothèse, l’escroquerie eut assurément été un fondement pénal tout à fait intéressant pour sanctionner un tel agissement.

Tel n’était cependant pas le cas ici et la Chambre criminelle n’a pas contredit les juges du fond ayant considéré que l’échec des négociations initiales résultait de la dégradation objective de la situation financière de la société cible, imputable aux parties civiles elles-mêmes, de sorte que « les pourparlers et audits ne pouvaient constituer des manœuvres frauduleuses« .

On retiendra que cette exclusion semble ici maintenir une distinction louable entre les stratégies commerciales légitimes et les véritables artifices frauduleux caractéristiques de l’escroquerie, évitant ainsi une pénalisation excessive des pratiques négociables qui sont habituelles lors des opérations de fusions-acquisitions et de rachats d’entreprises.

Cette décision du 25 juin 2025 constitue un jalon important dans l’évolution du droit pénal des affaires. En élargissant la conception de « l’objet détourné », pour y intégrer les informations confidentielles transmises lors d’audits de due diligence, la Cour de cassation consacre la protection pénale des informations délivrées lors des pourparlers précontractuels. Elle souligne également que la qualification d’abus de confiance des informations immatérielles demeure subordonnée à la caractérisation effective d’un détournement, c’est-à-dire d’un usage contraire à la finalité de la remise initiale. Ce faisant, elle s’emploie déterminer un juste équilibre entre répression des comportements abusifs et sécurité juridique des transactions.

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