En 2024 : Infogreffe constate que le nombre d’arnaques au Kbis augmente de plus de 100 % en 2024 par rapport aux deux dernières années cumulées. Plus de 30 % des entreprises victimes de fraude ont subi un préjudice supérieur à 10 000 €, et 15 % ont subi un préjudice supérieur à 100 000 €.
L’émergence de ce type d’attaque nécessite une vigilance accrue de la part des entreprises afin de limiter leur exposition et de développer les bons réflexes pour être extrêmement réactifs au besoin.
I. Le KBIS : carte d’identité et CV de l’entreprise
Le Kbis est une sorte de carte d’identité de l’entreprise, mentionnant le nom de ses dirigeants, le montant du capital social et l’adresse du siège notamment.
Il contient l’ensemble des informations caractéristiques que l’entreprise, commerçant ou société doit déclarer, et fait état, le cas échéant, des mentions portées par le greffier chargé de la tenue de ce registre.
Le Kbis atteste de l’existence juridique de l’entreprise et donne une information vérifiée qui fait foi. Il s’agit du seul document officiel prouvant l’identité et l’adresse de la personne (physique ou morale) immatriculée, son activité, ses organes de direction, administration, gestion ou contrôle, ainsi que l’existence ou non d’une procédure collective engagée à son encontre.
Toute modification devant figurer sur l’extrait Kbis doit, au préalable, être dûment autorisée par l’organe compétent de la société, conformément aux dispositions légales et statutaires applicables.
Pour les sociétés commerciales, cette autorisation prend généralement la forme d’une décision collective des associés ou actionnaires réunis en assemblée générale extraordinaire (AGE) tandis que d’autres changements ne nécessitent que la validation du président de l’entreprise.
Aux fins d’assurer l’opposabilité aux tiers, toute modification statutaire ou relevant des mentions obligatoires de l’extrait Kbis doit faire l’objet d’une publication dans un journal d’annonces légales (JAL) habilité dans le département du siège social de la société.
Une attestation de parution est délivrée par le JAL après publication. Ce document est requis pour compléter la formalité de modification auprès du registre du commerce via le Guichet unique.
II. Le Kbis détourné : une porte ouverte à l’usurpation d’identité
L’arnaque au Kbis repose sur une stratégie d’usurpation d’identité juridique en exploitant la procédure de modification du Kbis décrite ci-dessus.
En effet, cette nouvelle forme d’escroquerie tire pleinement parti des outils numériques pour se développer. Les fraudeurs mobilisent de manière conjointe trois vecteurs principaux afin de parvenir à leurs fins :
- L’exploitation des données d’entreprise en libre accès, rendue possible par l’ouverture des bases publiques (open data) et des plateformes associées, telles que l’Annuaire des entreprises, qui offrent une visibilité accrue sur les informations légales des sociétés ;
- L’usurpation d’identité par captation de données personnelles, notamment par le vol de documents d’identité ou d’informations sensibles, permettant d’endosser frauduleusement la qualité de représentant légal ;
- Le recours à l’intelligence artificielle générative, désormais capable de produire à faible coût des documents contrefaits d’un réalisme troublant, rendant la fraude d’autant plus difficile à détecter.
Ces trois vecteurs combinés facilitent la falsification de documents tels que les statuts ou les procès-verbaux d’assemblée permettant de faire inscrire au registre du commerce des informations erronées : changement de dirigeant, de siège social, voire de dénomination sociale.
Ainsi à partir d’un faux document, les arnaqueurs obtiendront un vrai faux Kbis les identifiant comme gérant ou comme président.
Ces modifications effectués, l’arnaqueur dispose ainsi du pouvoir de représentation de l’entreprise et à ce titre est en mesure d’utiliser l’extrait Kbis falsifié pour souscrire des crédits, signer des contrats ou procéder à des opérations financières au nom de l’entreprise sans l’accord – ni même la connaissance – de ses véritables représentants légaux.
Or, dès lors qu’un tiers — qu’il s’agisse d’un établissement bancaire, d’un organisme de crédit, d’un fournisseur ou d’un partenaire commercial — contracte en toute bonne foi avec la personne désignée comme représentant légal sur l’extrait Kbis, la société dont l’identité a été usurpée se trouve engagée juridiquement.
III. Un double préjudice aux conséquences lourdes : finances impactées, réputation compromise
Le préjudice peut être considérable, tant sur le plan financier que réputationnel. En effet, selon les dernières données communiquées par Infogreffe, plus de 30 % des entreprises victimes de fraude déclarent un préjudice financier supérieur à 10 000 euros. Plus alarmant encore, 15 % ont subi des pertes excédant 100 000 euros. Ces chiffres traduisent l’ampleur économique des conséquences liées à l’usurpation d’identité et aux fraudes documentaires, notamment celles impliquant l’extrait Kbis.
Mais au-delà de l’impact comptable, le préjudice réputationnel peut s’avérer tout aussi destructeur — sinon plus — à moyen terme. L’entreprise usurpée voit son image ternie auprès de ses partenaires, de ses clients, de ses banques ou de ses fournisseurs, qui peuvent douter de sa fiabilité juridique ou organisationnelle. La diffusion d’informations erronées sur son identité, ses représentants ou ses engagements peut entraîner une défiance durable, des ruptures de contrat, ou encore des blocages administratifs (fermeture de comptes, gel de lignes de crédit, désactivation de SIREN, etc.).
IV. Usurpation de l’identité de votre entreprise : comment détecter et réagir ?
Face à la recrudescence des fraudes documentaires — en particulier celles ciblant les informations enregistrées au registre du commerce et des sociétés (RCS) — il est crucial pour tout dirigeant d’entreprise de mettre en place une veille juridique permanente.
Cette vigilance passe notamment par la programmation d’alertes automatiques en cas de modification de l’extrait Kbis. Une telle surveillance permet de détecter rapidement toute tentative d’usurpation et de réagir sans délai.
Lorsqu’une entreprise constate que son identité a été détournée, une réaction rapide et structurée est impérative pour contenir les effets juridiques, financiers et réputationnels de la fraude.
Les étapes suivantes sont recommandées :
- Déposer plainte sans délai pour faux, usage de faux et usurpation d’identité, auprès du commissariat ou de la gendarmerie compétente, avec constitution de partie civile si nécessaire ;
- Saisir immédiatement le greffe du tribunal de commerce, afin de signaler la nature frauduleuse des inscriptions concernées et de solliciter la rectification en urgence des données erronées sur le registre ;
- Engager un recours en référé devant le juge commis à la surveillance du RCS, si le greffe ne procède pas de lui-même à la correction des mentions litigieuses. Ce référé permet, le cas échéant, de faire ordonner des mesures conservatoires en attendant une décision de fond.
La charge de la preuve pèse sur l’entreprise victime, qui doit démontrer que l’usurpation est effective et qu’elle n’est pas à l’origine des démarches contestées.
En cas d’inertie du greffe ou de difficultés probatoires, l’intervention d’un avocat en droit des sociétés est vivement recommandée pour :
- Préparer les éléments justificatifs nécessaires ;
- Rédiger les requêtes ;
- Saisir le juge dans des délais compatibles avec l’urgence.
La priorité demeure d’obtenir la cessation immédiate de l’usurpation d’identité, avant que des engagements frauduleux ne produisent des effets juridiques irréversibles.
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L’essor préoccupant des fraudes à la modification du Kbis illustre la manière dont la dématérialisation des formalités juridiques et l’émergence des nouvelles technologies, si elles facilitent les formalités pour les entreprises, peut également devenir un vecteur d’atteinte grave à leur intégrité. L’usurpation d’identité d’une personne morale n’est pas une hypothèse marginale : c’est aujourd’hui un risque concret, documenté, et aux conséquences potentiellement dévastatrices, tant sur le plan financier qu’en termes de réputation.
La protection de l’identité juridique d’une société ne saurait donc être reléguée au second plan. Elle impose une vigilance continue, des processus de contrôle rigoureux, et une capacité de réaction rapide en cas d’alerte. Elle exige aussi, de plus en plus, une collaboration étroite avec des conseils juridiques compétents, capables d’identifier les risques et d’initier les recours adaptés.