La loyauté des relations commerciales a toujours été une préoccupation des juges. Avant même que le droit des affaires ne sanctionne spécifiquement certaines pratiques commerciales, la jurisprudence a utilisé le droit commun de la responsabilité civile (art. 1240 et 1241 du Code civil) pour sanctionner ce qu’il est convenu d’appeler des actes de concurrence déloyale.
Bien souvent, un comportement est qualifié de déloyal après examen de la conformité de cet acte avec le standard de loyauté commerciale que se représente le juge. Mais cette tâche est grandement facilitée lorsque la faute en question résulte d’une violation de la loi. La concurrence n’est alors plus seulement déloyale, mais illégale.
L’acte de concurrence illégale consiste en un acte de concurrence contraire aux restrictions légales ou règlementaires inhérentes à une activité économique. Ces restrictions sont nombreuses et concernent, notamment, les restrictions relatives à la détention d’un diplôme ou d’une autorisation administrative pour exercer. De même en matière de dénomination trompeuse de produits ou encore la pratique de soldes pratiqués au mépris de la règlementation commerciale.
Comment expliquer qu’un acte de concurrence illégale soit sanctionné par le juge ? Une idée directrice fonde cette sanction : la rupture d’égalité que produit l’acte de concurrence illégale. En ce cas en effet, le défendeur se place, par sa faute, dans une situation plus confortable que celle de ses concurrents. Alors que ces derniers exercent leur activité en supportant la pression normative pesant sur eux, l’auteur de l’acte de concurrence illégale s’affranchit de ces contraintes et capte ainsi la clientèle de ses homologues.
Quel est l’intérêt pour les victimes d’invoquer un acte de concurrence illégale ? La rupture d’égalité dans les moyens de la concurrence est causée par la violation des dispositions légales ou règlementaires afférentes à une activité économique. Cela signifie que les plaideurs n’ont pas, en ce cas, à démontrer le caractère fautif de l’acte poursuivi : le simple fait qu’il soit illicite suffit à remplir une première condition de l’action en responsabilité – l’existence d’une faute.
Qu’en est-il en matière de transport de personnes ? Il y a longtemps déjà la Cour de cassation a sanctionné une entreprise exploitant une activité de transport au mépris de la réglementation relative à la coordination du rail et de la route (Com., 20 février 1967, Bull. civ. III, n° 80). L’action que pourraient entreprendre les chauffeurs de taxi à l’encontre d’UBER serait alors comme une réplique à ce tremblement.
L’on sait par ailleurs que l’entrée en vigueur de la loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur n’a pas empêché certaines juridictions de déceler dans l’activité d’UBER un acte de concurrence déloyale (CA Paris, 12 décembre 2019, n° 17/03541 ; Com., 14 janvier 2018, n° 16-20.615). La Cour de Justice de l’Union Européenne a, enfin, récemment considéré qu’UBER n’était pas qu’un simple intermédiaire et que, son activité relevant de la qualification de « service dans le domaine des transports » au sens du droit de l’Union, l’entreprise devait dès lors détenir toutes les autorisations nécessaires en ce domaine (CJUE, 20 décembre 2017, aff. C-434/15).
UBER est-il en situation de concurrence illégale ? La réponse est très probablement positive. En effet, la Cour de cassation a récemment qualifié les manquements d’UBER au droit du travail (Soc., 4 mars 2020, n° 19-13.316). Quelques mois auparavant, la Cour avait fait de même à propos de l’entreprise Take Eat Easy (Soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079). Dans l’affaire jugée le 4 mars dernier, la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel d’avoir déduit de l’ensemble des éléments du litige l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur – UBER – qui avait le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements. Ce faisant, les juges pouvaient valablement considérer que le statut de travailleur indépendant du chauffeur était fictif.
La fictivité de la relation unissant UBER et ses chauffeurs signifie sa requalification rétroactive en relation de travail, soumise à toutes les exigences du Code du travail.
L’on conclut de la décision du 4 mars 2020 qu’UBER exerce, depuis l’origine, son activité d’intermédiation au mépris des règles sociales françaises. UBER s’est ainsi affranchi des règles relatives, notamment, aux majorations de salaires, aux pauses obligatoires, aux congés payés, à la représentation du personnel ou encore aux cotisations sociales. UBER s’est donc placé dans une situation avantageuse puisqu’il a conquis une partie de la clientèle des taxis sans supporter les contraintes auxquelles il aurait dû normalement être soumis.
Ne reste donc plus, désormais, qu’à agir en réparation du préjudice subi par les taxis à raison de cet acte de concurrence illégale. Le préjudice réparable consiste très probablement en une perte de chiffre d’affaires ainsi qu’un préjudice moral.