16 février 2021

La Convention Judiciaire d’intérêt Public : l’innocence a-t-elle un prix ?

Face à une volonté croissante, de la part de la justice et de l’administration centrale Française, de lutter contre les fraudes fiscales, la loi Sapin 2 a introduit un mécanisme innovant en droit pénal Français : la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (« CJIP »).

En effet, la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique de 2016 a mis en place une procédure spéciale permettant, au procureur de la République, de conclure une convention judiciaire d’intérêt public avec une personne morale mise en cause pour des faits d’atteintes à la probité. Cette mesure alternative aux poursuites a, pour principal effet, d’éteindre l’action publique si la personne morale mise en cause exécute les obligations auxquelles elle s’est engagée dans la convention.

A la lumière de la ligne directrice de l’agence française anticorruption, la finalité d’une telle procédure est claire : éviter d’être confronté au juge et aux sanctions éventuellement incertaines en s’acquittant d’une amende d’intérêt public. Etant assimilable à une sorte de transaction pénale, inspirée du système américain, une telle procédure introduit en droit Français, amène une part d’ombre en la matière. En effet, offrir la possibilité d’écarter l’office du juge et de mettre fin à l’action publique moyennant une amende, semble complètement contraire à la procédure pénale ordinaire.

Déjà utilisée dans plus d’une dizaine d’affaires, la convention judiciaire d’intérêt public est-elle un moyen de négocier son innocence ?

 

Une procédure originale en droit pénal français

Pour éclairer cette procédure particulière de la matière pénale et déterminer si elle permet réellement d’acheter son innocence, il advient de s’interroger, dans un premier temps, sur ses caractéristiques : ce sont les articles 41-1-2 et 180-2 du code de procédure pénale qui disposent de la convention judiciaire d’intérêt public.

A la lecture de ces articles, cette convention se définit comme une mesure alternative aux poursuites, pour des faits de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et toute infraction connexe. Ce mécanisme n’est envisageable que pour les personnes morales (entreprises, associations, collectivités territoriales, etc…) et émane d’une proposition du parquet national financier. Pour pouvoir en bénéficier, la personne morale doit reconnaître les faits qui lui sont reprochés. Elle a pour effet et finalité d’éteindre l’action publique si la personne morale mise en cause exécute les obligations auxquelles elle s’est engagée dans la convention. Ces obligations, alternatives ou cumulatives, peuvent consister dans le versement d’une amende d’intérêt public à l’Etat, dans la mise en œuvre, sous le contrôle de l’agence française anti-corruption, d’un programme de mise en conformité de ses procédures de prévention et de lutte contre la corruption, pour une durée maximale de 3 ans et dans la réparation du dommage de la victime. Le montant de l’amende d’intérêt public est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés. Cette amende est toutefois limitée à 30% du chiffre d’affaires moyen annuel de la société calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat des manquements. Proposée par le procureur de la République et acceptée par la personne morale, elle doit faire l’objet d’une validation par le juge lors d’une audience publique. Pour finir, la convention et la décision de validation sont publiées sur le site internet de l’agence Française anti-corruption.

Au regard de la dizaine de conventions judiciaires d’intérêt public conclues et publiées sur le site de l’agence Française Anticorruption, cette alternative aux poursuites « classiques » est relative : même si les conséquences peuvent être assimilables à une condamnation classique devant le juge pénal, le champs d’application de cette convention reste toutefois limité.

 

Une procédure permettant,  moyennant finance, de s’exonérer des poursuites judiciaires

En effet, et à certains égards, la convention judiciaire d’intérêt public peut s’assimiler à un « paiement de l’innocence » : ses conséquences sont similaires à un jugement définitif et, ont parfois même, des effets plus favorables qu’une décision de justice pour la personne qui en bénéficie.

  • Eviter les effets négatifs d’un jugement

En premier lieu, cette convention permet d’éviter de s’exposer à un procès pénal. En outre et avec une telle procédure, il est possible d’écarter l’incertitude et l’aléa de la solution d’un litige soumit à un juge, qui peut être fortement contraignante pour la personne morale. Par ailleurs, en évitant la tenue d’un procès, la personne morale peut échapper au prononcé de peines complémentaires qui peuvent être extrêmement dommageables pour l’activité de cette dernière : une exclusion des marchés publics, une dissolution, la fermeture des établissements ayant servi à commettre les faits, ect… A cela, peut s’ajouter le gain de temps non négligeable gagné par la personne morale qui va esquiver la procédure classique d’une affaire pénale, qui peut durer plusieurs années et causer de nombreuses problématiques.

 Cette procédure, permettant également d’éviter une déclaration de culpabilité pour les faits reprochés, n’emporte pas déclaration de culpabilité et comme elle n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation, elle n’est pas inscrite au bulletin n°1 du casier judiciaire de la personne morale. En ce qui concerne la publicité, la convention fera l’objet d’un communiqué de presse du Procureur de la République. De plus, le montant de l’amende d’intérêt public et la convention seront publiés sur le site internet de l’Agence française anticorruption. Par conséquent, cette procédure alternative permet d’écarter toutes les peines complémentaires concernant la publicité de la condamnation ou encore, d’éviter la médiatisation du procès.

Enfin et de plus, éviter les effets négatifs du procès pénal n’empêche pas cette procédure particulière de bénéficier de certaines conséquences d’une décision de justice.

  • Bénéficier des effets d’un jugement définitif

Au regard des lignes directrices de l’Agence Français Anticorruption, la finalité de cette convention particulière est limpide : si la personne morale exécute les obligations prévues dans la convention, cela mettra un terme à l’action publique. S’inspirant fortement du « deferred prosecution agreement » du système Américain, la fin de l’action publique par le parquet français amène nécessairement à se questionner sur divers points : Une telle procédure, offerte aux personnes morales, permet-elle d’obtenir les effets d’un jugement définitif et d’éviter une double « condamnation » par des autorités étrangères ?

Etant qualifiée de mesure alternative, la question de l’équivalence des effets avec un jugement définitif ne semble pas poser une réelle problématique. Ayant pour effet d’éteindre l’action publique, à la condition que la personne morale mise en cause exécute les obligations auxquelles elle s’est engagée dans la convention, cette dernière empêche donc toutes poursuites futures par le parquet, concernant les mêmes faits.

Mais se pose également, la question de la portée de la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public sur des poursuites intentées par des autorités étrangères pour les mêmes faits. Au regard des dispositions internationales, comme par exemple l’article 4  de la Convention européenne des droits de l’homme, il existe un principe international selon lequel nul ne peut être poursuivi ou puni deux fois pour les mêmes faits. A la lumière de la jurisprudence et notamment d’un arrêt du 18 juin 2015, le juge français considère que la conclusion d’un deferred prosecution agreement (aux Etats Unis) avait éteint l’action publique en France ce qui avait permis l’application du principe « non bis in idem ». Au niveau de l’Union Européenne, il faut se référer à un arrêt du 11 février 2003 ou la Cour de justice de l’Union européenne avait reconnu l’autorité de la chose jugée d’une décision  rendue par un parquet d’un État à l’issue d’une procédure alternative aux poursuites emportant extinction de l’action publique. Il semblerait donc qu’au regard de ces deux décisions, la fin de l’action publique découlant d’une convention judicaire d’intérêt public permet donc d’éviter une condamnation dans un autre pays pour les mêmes faits.

 

Une innocence relative au regard de son champ d’application

Cette procédure particulière, introduite en 2016, est impulsée par le parquet national français. C’est donc ce dernier qui est à l’origine de la conclusion d’une telle convention et qui va examiner l’opportunité de recourir à une telle procédure. La finalité, pour le parquet, étant de trouver une amende suffisamment importante pour compenser l’abandon de l’action publique, ce dernier ne sera donc intéressé que si les droits concernés sont économiquement importants. Par conséquent, la convention judiciaire d’intérêt public ne devrait, semble-t-il, jamais concerner une fraude peu importante. L’opportunité d’une telle procédure n’est intéressante, pour le parquet français, que si les droits fraudés représentent des montants très importants et/ou que la recherche de preuves est compliquée au regard d’une situation transfrontalière. En effet, la possibilité de conclure une convention judiciaire d’intérêt public semble limitée à des organismes capables de s’acquitter d’amende d’intérêt public établies en millions ou en milliards d’euros. Cette alternative aux poursuites trouve donc sa première limite dans les personnes morales susceptibles de conclure une-telle convention.

De plus, la convention judiciaire d’intérêt public trouve une limite dans son champ d’application : au regard de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, cette dernière n’a vocation à concerner que des personnes morales (société, association, ect…) et exclue donc les personnes physiques. C’est donc, dans la responsabilité pénale du dirigeant ou des responsables de la personne morale, que se trouve réellement la limite d’une cette convention. Alors que l’action publique prend fin à l’exécution de la convention pour la personne morale, une personne physique poursuivie dans une affaire similaire ou connexe ne bénéficie pas de cette derniere. En prenant par exemple, la première convention judicaire d’intérêt public conclue en 2016, les représentants légaux de la personne morale mise en cause sont, pour leur part, restés responsables en tant que personnes physiques. Il est alors, après ce constat, difficile de parler d’une procédure qui permettrait aux fraudeurs d’échapper, moyennant finance, aux poursuites judiciaires. Par conséquent, et même si la personne morale n’est plus poursuivie, l’idée d’une « innocence négociée » demeure relative : une personne physique ne peut pas, dans le cadre de cette procédure, s’exonérer d’une décision de justice prononcée à son égard.

A cela, il faut ajouter l’objectif d’introduire une procédure aussi particulière en droit pénal français : la recherche de sanctions pécuniaires lourdes pour les fraudeurs. Etant plafonnées 30% du chiffre d’affaire annuel et à l’origine du parquet national français, les amendes d’intérêt public sont très élevées : pour donner un exemple, la première convention judicaire d’intérêt public concernant HSBC Private Bank (Suisse) SA s’est élevée à plus de 157 millions d’euros (montant maximum encouru dans l’affaire) et à des dommages et intérêts à hauteur de 143 millions. Pour donner un second exemple, la dernière convention conclue le 29 janvier 2020 concernait la société Airbus SE et s’élève à 2 milliards d’euros. Au regard de ces amendes, il assez aisé de déterminer qu’une telle convention ne sera mise en œuvre que pour des « gros » fraudeurs avec des sommes enjeux très importantes. Pour reprendre la dernière convention judiciaire d’intérêt public conclue, les droits fraudés étaient estimés à plus de 1 milliard d’euros, pour un chiffre d’affaire brut moyen annuel de 63 milliards d’euros sur la période 2016-2018. Cette analyse vient donc conforter l’idée qu’une-t-elle procédure, impulsée par le parquet national français, ne concerne que des cas particuliers ou des sommes importantes sont enjeux, limitant assez fortement, l’idée d’une innocence négociée absolue.

Dans tous les cas, il est vivement recommandé de consulter un avocat afin, soit d’être renseigné ou conseillé sur les choix envisageables lors d’une procédure pénale, soit d’établir une stratégie personnalisée et de vous éclairer sur toutes les possibilités. Le Cabinet Bruzzo Dubucq, gage de qualité et d’efficacité,  dans les questionnements juridiques, est à votre écoute pour tous vos problèmes en la matière.

 

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Cédric Dubucq

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