Le droit d’auteur est empreint d’une logique humaniste qui fait de la création humaine un objet de propriété intellectuelle. C’est ce que nous indique l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, qui conditionne l’octroi de la protection au titre du droit d’auteur à l’existence d’une « création ».
Si le Code de la propriété intellectuelle dresse une liste des œuvres protégées (art. L. 112-2), cette liste n’est pas limitative. La protection peut porter sur « sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » (art. L. 112-1).
Reste à savoir ce qu’il faut entendre par « création » au sens du Code. L’on sait que deux approches coexistent : l’une objective, qui voit la création comme un résultat ; l’autre subjective, qui s’attache à regarder la création comme un processus, à la fois créatif et conscient.
C’est cette seconde approche de la création que certaines décisions étrangères récentes mobilisent pour refuser la protection des créations réalisées à l’aide de l’IA. L’humanisme propre au droit d’auteur entre, pour ainsi dire, en collision avec l’utilisation des nouveaux outils numériques (F. Pollaud-Dulian, « L’humanisme de la propriété intellectuelle au défi des objets produits par intelligence artificielle », D. 2022, p. 2051).
Ainsi, en 2022, la production issue d’un système d’intelligence artificielle n’a-t-elle pu être enregistrée devant le U. S. Copyright Office, le Copyright Act n’accordant la protection aux seules créations issues de l’intelligence humaine (U.S. Copyright Office, Copyright Review Board, 14 févr. 2022).
En l’espèce, l’œuvre dont la protection était sollicitée avait été créée par une intelligence artificielle (IA) appelée « Creativity Machine » et avait été déposée au Copyright Office par son propriétaire, Steven Thaler.
Le Copyright Office refusa d’enregistrer l’œuvre, estimant qu’elle n’était pas créée par un humain et qu’elle n’était donc pas protégeable par le droit d’auteur. Thaler a fait appel de cette décision devant le Board. Dans sa décision, le Board a confirmé la décision du Copyright Office et a conclu que l’œuvre n’était pas créée par un humain et qu’elle n’était donc pas protégeable par le droit d’auteur.
Pour ce faire, le Board a fondé sa conclusion sur plusieurs motifs, notamment :
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- L’IA n’avait pas la capacité de comprendre le sens de l’œuvre qu’elle créait ;
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- L’IA n’avait pas la capacité de faire des choix créatifs quant à l’œuvre qu’elle créait ;
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- L’IA n’avait pas la capacité d’exercer un contrôle sur la création de l’œuvre ;
Le Board a également conclu que le fait qu’un humain ait fourni à l’IA les données d’entrée et les paramètres utilisés pour créer l’œuvre ne rendait pas l’œuvre protégeable par le droit d’auteur. L’apport humain était trop minime, estime-t-il, pour que l’œuvre puisse être considérée comme créée par un humain.
Les lignes directrices du US Copyright-Office U.S. prévoient d’ailleurs que le droit d’auteur ne peut protéger que le fruit de la créativité humaine et excluent l’emploi du terme « Author » aux non-humains (Copyright Office, Library of Congress, Copyright Registration Guidance : Works Containing Material Generated by Artificial Intelligence , 10 mars 2023, 37, CFR Part 202).
Le 18 août 2023, dans cette même affaire, la US District Court for the District of Columbia a approuvé la décision du Copyright Office de rejeter l’enregistrement d’images créées par l’IA. Celle-ci considéra que le droit d’auteur est certes suffisamment malléable pour protéger des œuvres créées par, ou impliquant, des nouvelles technologies, mais « la paternité humaine reste une exigence fondamentale du droit d’auteur ».
Quelques mois plus tard, le 27 novembre 2023, la Beijing Internet Court, juridiction chinoise spécialisée dans la résolution des différends liés à Internet, a rendu une décision en sens inverse, mais avec un raisonnement pareillement humaniste (Beijing Internet Court, Civil Judgment, Beijing 0491 Republic of China, n° 11279).
Il était question de la possible contrefaçon d’une image générée par Stable Diffusion, un outil d’IA permettant de générer des contenus graphiques à partir de requêtes (ou « prompts »). Pour protéger l’œuvre créée par l’IA, la Cour rappelle qu’une création n’est protégeable que si elle est le fruit d’un travail indépendant de l’auteur et qu’elle reflète une expression de sa personnalité. Or, les directives adressées à l’IA constituent, selon la Cour, des choix esthétiques et personnels, susceptibles de justifier la protection au titre du droit d’auteur. L’IA n’est finalement pas différente, dans cette analyse, d’une caméra ou d’un appareil photo : elle est un outil du créateur dont l’usage n’exclut pas la protection au titre du droit d’auteur. La création issue d’une IA pleinement autonome, agissant sans instructions, serait en revanche soumise à une appréciation différente, dès lors qu’aucune intervention humaine n’aurait guidé, dans cette hypothèse, le processus créatif.
Une analyse similaire pourrait être retenue en Europe, d’autant que la Cour de Justice considère qu’il y a création artistique lorsque « l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs » (CJUE, 1er déc. 2011, aff. C-145/10). Dès lors que la création, certes réalisée à l’aide d’une IA, a été consciente, elle est susceptible de protection.
C’est pourtant à une conclusion différente qu’est récemment arrivé un Tribunal tchèque. Dans une décision du 11 octobre 2023 (č. j. 10 C 13/2023- 16), le Tribunal de Prague a dénié à l’utilisateur du service DALL-E d’Open AI un droit sur sa création.
Il faut préciser que le droit tchèque est exigeant quant à la paternité de la création protégée par le droit d’auteur. Conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la loi sur le droit d’auteur, l’objet du droit d’auteur est une œuvre littéraire et d’autres œuvres artistiques et scientifiques qui sont le résultat unique de l’activité créatrice de l’auteur.
Pour rejeter la protection, le Tribunal relève que l’image créée par l’intelligence artificielle ne constitue pas une œuvre de l’esprit car elle ne répond pas aux caractéristiques conceptuelles d’une œuvre de l’esprit. Selon la juridiction, l’image n’est pas non plus le résultat unique de l’activité créatrice d’une personne physique, l’auteur. Le demandeur, conclut-elle, n’a pas personnellement créé l’œuvre, celle-ci ayant été créée à l’aide d’une intelligence artificielle.
Mais une circonstance du litige éclaire cette décision et conduit à ne pas l’analyser comme une dénégation générale et absolue de la protection des créations générées par une IA. En effet, le Tribunal a relevé que le demandeur ne prouvait pas en quoi il avait influé sur le processus technique de création à l’aide de l’IA. L’on peut en conclure, a contrario, que s’il avait prouvé l’existence et le contenu des prompts adressés à DALL-E – comme ce fut le cas dans l’affaire tranchée par la Beijing Internet Court – la protection aurait pu lui être accordée.
Il faudra probablement harmoniser ces solutions à l’échelle européenne, voire à l’échelle mondiale. Pour l’instant, le droit positif semble majoritairement exclure la protection au titre du droit d’auteur. Si une logique inverse devait être poursuivie, peut-être faudra-t-il recourir à une réforme pour étendre le droit d’auteur aux créations réalisées par intelligence artificielle ou créer un droit voisin du droit d’auteur (voy. sur ce point I. Randrianirina, « Plaidoyer pour un nouveau droit de propriété intellectuelle sur les productions générées par intelligence artificielle », D. 2021, p. 91, qui présente et précise des propositions formulées par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique).