1 octobre 2024

Vigilance sur l’acquisition de la qualité d’associé : l’importance de l’inscription en compte

En raison de leur caractère négociable, les actions ont cette aptitude à circuler rapidement. Le formalisme rigoureux de la cession de créances ordinaire est écarté au profit d’une procédure simplifiée propre au droit commercial. Pour autant, la négociabilité des titres ne dispense pas les parties de la réalisation de toute formalité. Certaines démarches devront donc impérativement être réalisées afin de garantir l’efficacité de la cession.

Avant les ordonnances du 24 juin 2004 et du 8 janvier 2009, le transfert de propriété d’actions entre les parties résultait du simple échange de consentements sur la chose et le prix. La date du transfert de propriété se distinguait alors de celle de l’opposabilité de la cession à la société émettrice et aux tiers.

Désormais, et à la différence des titres non négociables, le transfert de propriété résulte de l’inscription des actions cédées au compte individuel de l’acquéreur, ce qui rend la cession opposable à tous.

Cette inscription en compte résulte d’un virement des titres du cédant sur le compte du cessionnaire, ouvert dans les livres de la société.

En pratique, le cédant donnera instruction à la société émettrice, au moyen d’un ordre de mouvement, d’opérer le transfert des titres cédés au profit du cessionnaire.

Seul le cédant a le pouvoir de signer l’ordre de mouvement, acte unilatéral par lequel il exécute son obligation de délivrance. En effet, comme pour toute cession, le cédant doit délivrer au cessionnaire la chose vendue. Il est ainsi tenu à la mise à disposition des titres cédés de manière à ce que le cessionnaire puisse se voir reconnaître la qualité d’associé, et que celle-ci soit opposable à la société et aux tiers[1].

Si les règles sont aujourd’hui bien établies, il n’en demeure pas moins que les conditions et les conséquences attachées à l’inscription en compte suscitent encore quelques difficultés. 

Dans une série spectaculaire de huit arrêts rendus le 18 et le 19 septembre 2024, la chambre commerciale de Cour de cassation aborde diverses questions, touchant aux différents secteurs du droit des sociétés. À cette occasion, la Cour de cassation a notamment pu rappeler les conditions et préciser l’importance de l’inscription en compte des actions cédées dans les sociétés non cotées.  

I. Le Cerfa n°2759 vaut-il ordre de mouvement ?

Dans une première espèce[2], la question se posait de savoir si l’ordre de mouvement devait répondre à des conditions de forme particulière. Plus précisément, il convenait de déterminer si le formulaire permettant la déclaration à l’administration fiscale de la cession (Cerfa n°2759) pouvait valoir ordre de mouvement.

Le cédant, après avoir signé le formulaire Cerfa n°2759, contestait la cession et notamment, la régularité de l’inscription des titres cédés au compte du cessionnaire. Il soutenait que la délivrance des actions cédées ne pouvait s’exécuter que par la signature d’un ordre de mouvement, distinct de tout autre acte, qui incombe au seul cédant.

Toutefois, selon l’article L. 228-1 du Code de commerce, l’ordre de mouvement n’est soumis à aucune condition de forme particulière – ce qu’affirme clairement la Cour de cassation dans l’arrêt commenté.

Elle affirme ainsi que tout document signé par le cédant et comportant toutes les informations nécessaires pour inscrire la cession sur le registre des mouvements de titres et le compte d’actionnaires, vaut ordre de mouvement.

Par conséquent, l’inscription des titres réalisés au moyen du formulaire Cerfa n°2759 est régulière.

Soulignons néanmoins que dans son arrêt, la Cour de cassation fait référence à l’article 10 des statuts de la société qui prévoit que « la transmission d’actions s’opère, à l’égard des tiers et de la société, par un ordre de mouvement signé du cédant ou de son mandataire, et mentionné sur le registre des mouvements de titres de la société ».

Aucun formalisme n’était imposé par les dispositions statutaires. La Cour de cassation en a donc justement déduit que le formulaire Cerfa n°2759 pouvait valoir ordre de mouvement dès lors qu’il permettait l’inscription des titres sur le compte du cessionnaire.

Toutefois, la société émettrice est libre d’aménager et de prévoir les modalités dans lesquelles les inscriptions en compte doivent être réalisées. Nous supposons donc que la solution aurait donc pu être différente si les conditions et modalités d’inscription en compte prévues par les statuts avaient été violées.

Sur le plan pratique, et ce afin d’éviter toute cession litigieuse, les statuts de la société peuvent donc imposer le contenu de l’ordre de mouvement – ce qui n’était pas le cas en l’espèce – ou plus largement, se référer à un modèle d’ordre de mouvement, lequel pourra être fourni par la société.

Nous appelons donc à la prudence, cette décision ne semblant pas poser un principe général.

II. À quelle date intervient le transfert de propriété d’actions non cotées ?

Dans une deuxième espèce[3], la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que l’inscription de la cession au compte individuel de l’acquéreur ou dans les registres de la société conditionne la reconnaissance de la qualité d’associé du cessionnaire.

Le cédant faisait grief à l’arrêt attaqué de reconnaître aux cessionnaires la qualité d’associé alors que les actions n’avaient fait l’objet d’aucune inscription en compte.

À l’inverse, les cessionnaires soutenaient qu’aux termes de l’article 1583 du Code civil, la vente est parfaite et la propriété acquise à l’égard du cédant dès lors que les parties avaient convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. Ils affirmaient ainsi que le non-paiement du prix était indifférent à la qualité d’associé et qu’au surplus, la cession avait bien été rendue opposable aux tiers par la publication au registre du commerce et des sociétés de l’acte de cession et des statuts modifiés.

Par cet arrêt, la Cour de cassation écarte les dispositions du droit commun et affirme clairement que le cessionnaire acquiert la qualité d’associé à la date effective du transfert de propriété, soit à la date de l’inscription des actions au compte individuel de l’acquéreur ou dans les registres de titres nominatifs tenus par la société émettrice.

C’est donc à la date du transfert de propriété que le cessionnaire se verra reconnaître la qualité d’associé. Elle est ainsi conditionnée par l’inscription des actions à la date que les parties déterminent et notifiée à la société émettrice.

Cette date ne peut être antérieure à la notification faite à la société émettrice. Un tel choix serait, en effet, inefficace dans la mesure où la date d’inscription choisie serait inopposable aux tiers. En pratique, le transfert de propriété ne leur est opposable qu’à compter de l’inscription en compte qui intervient après la notification de la société. Le dépôt au registre du commerce et des sociétés de l’acte de cession et des statuts modifiés n’étant pas suffisant pour assurer l’opposabilité aux tiers de la cession – ce qui est ici rappelé.

La transmission d’action obéit donc à un formalisme rigoureux. Seule l’inscription permet au cessionnaire d’opposer à la société sa qualité d’associé et d’exercer les droits qui y sont attachés. Il est donc impératif que le cessionnaire se préoccupe de la bonne retranscription des titres cédés dans les comptes de la société, au risque de se voir privé de sa qualité d’associé. La Cour de cassation rappelle toutefois que, si la date d’inscription n’est pas celle fixée par les parties, la société pourra voir sa responsabilité engagée.

Il est cependant important de noter que l’inscription concrétise seulement le transfert de propriété, qui reste un effet du contrat de cession. Elle ne règle pas la question de l’existence même de la cession.

Le cédant et le cessionnaire devront donc se montrer vigilants et respecter la procédure, bien que simplifiée, propre au transfert d’actions afin d’assurer l’efficacité et la validité du transfert. La position de la Cour de cassation étant ici clairement affirmée : pas d’inscription, pas d’association.


[1] Cass. com., 24 mai 2011, n°10-12.163

[2] Cass. com., 18 septembre 2024, n° 22-18.436

[3] Cass. com.,  18 septembre 2024, n° 23-10.455

David Ybert de Fontenelle

David Ybert de Fontenelle

Lisa Van Der Straaten

Lisa Van Der Straaten

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