Dans un arrêt en date du 20 avril 2017 (n°15-23.600), la chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé que le dirigeant de fait, qui a sciemment appauvri l’entreprise dans un intérêt personnel, peut être condamné à supporter seul l’intégralité du passif social, et ce, sans pouvoir agir en garantie contre un autre dirigeant.
Les faits d’espèce sont relativement simples : en effet, à la suite de la mise en liquidation judiciaire d’une société de construction, le liquidateur poursuit en comblement de passif les deux gérants de droit de la société, ainsi que son dirigeant de fait.
Une condamnation à supporter seul l’intégralité de l’insuffisance d’actif
En l’espèce, le dirigeant de fait reproche en vain à la cour d’appel de l’avoir condamné à supporter seul l’intégralité de l’insuffisance d’actif et d’avoir écarté les demandes du liquidateur dirigées contre les dirigeants de droit.
En effet, rappelle la Cour de cassation, l’action en comblement de passif est une action attitrée, réservée aux personnes mentionnées à l’article L. 651-3 du Code de commerce : seuls le liquidateur, le ministère public et, sous certaines conditions, les contrôleurs ont qualité pour agir en responsabilité pour insuffisance d’actif.
En cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, le tribunal peut décider que le montant de l’insuffisance d’actif de la personne morale sera supporté, en tout ou partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants ou par certains d’entre eux.
Ainsi, le dirigeant n’a pas qualité, même à titre de garantie, à agir contre un autre dirigeant de la société. Autrement dit, les actions entre codirigeants sont interdites en matière de responsabilité civile pour insuffisance d’actif, quel que soit le cas de figure. Par exemple, si le liquidateur judiciaire n’a poursuivi qu’un seul dirigeant, celui-ci ne peut pas en appeler un autre en garantie (Com., 2 novembre 2005). De même, si le liquidateur a poursuivi plusieurs dirigeants, ils ne peuvent pas s’appeler en garantie, ni même se prévaloir du sort plus favorable réservé à certains d’entre eux par le juge (Com., 5 mai 2004).
Le rejet de l’argument tiré de la disproportion de cette condamnation
La Cour de cassation rejette ensuite les arguments du dirigeant de fait tirés d’une part de l’absence de lien de causalité entre ses fautes et la condamnation prononcée et, d’autre part, du caractère disproportionné de cette condamnation.
Le dirigeant d’une personne morale peut en effet être déclaré responsable, sur le fondement de l’article L. 651-2 du Code de commerce, même si la faute de gestion qu’il a commise n’est que l’une des causes de l’insuffisance d’actif et sans qu’il y ait lieu de déterminer la part de cette insuffisance imputable à sa faute.
Au cas d’espèce, le lien de causalité existant entre les fautes de gestion imputables au dirigeant de fait et l’insuffisance d’actif était suffisamment caractérisé par les éléments suivants :
- le dirigeant de fait s’était octroyé une rémunération excessive au regard de la situation économique de l’entreprise ;
- il n’avait pas procédé au recouvrement des factures impayées pour le compte de la société ;
- il avait disposé des biens et des salariés de celle-ci comme des siens propres ;
- des actifs mobiliers de l’entreprise avaient été dissipés avant l’ouverture de la procédure collective, au point que l’actif subsistant au jour de la déclaration de la cessation des paiements était limité à 3.860 €, pour un passif dépassant 600.000 €.
À noter que la solution consacrée par cette décision n’est pas nouvelle. En effet, elle constitue une confirmation de jurisprudence dans la mesure où elle s’inscrit dans la lignée des arrêts Com., 2 juin 2005 et Com., 15 décembre 2009.