10 mars 2025

Vers un nouveau cadre règlementaire pour la responsabilité du fait des produits défectueux

À l’heure où l’innovation technologique et la digitalisation bouleversent notre quotidien, les règles de responsabilité doivent s’adapter à une économie en perpétuelle mutation. L’essor de l’intelligence artificielle, des objets connectés et de nouveaux modes de consommation rendait nécessaire une modernisation du cadre juridique régissant la responsabilité du fait des produits défectueux.

C’est dans cette perspective que l’Union européenne a adopté, le 23 octobre 2024, la directive 2024/2853, opérant une refonte des principes établis par la directive 85/374/CEE, en vigueur depuis près de quarante ans. Cette réforme vise à renforcer la protection des consommateurs tout en apportant davantage de sécurité juridique aux fabricants, distributeurs et autres acteurs de la chaîne économique.

Applicable aux produits mis sur le marché à compter du 9 décembre 2026, ce texte introduit des ajustements majeurs : extension de la notion de « produit défectueux », renforcement des obligations des producteurs et meilleure indemnisation des victimes.

Mais concrètement, quels sont les impacts de cette réforme ? Qui verra sa responsabilité accrue ? Quels seront les nouveaux risques pour les fabricants et distributeurs ?

I – Un régime de la responsabilité du fait des produits défectueux adapté aux nouveaux défis technologiques

  • POURQUOI UNE RÉVISION DU RÉGIME DE RESPONSABILITÉ ÉTAIT NÉCESSAIRE ?

L’une des avancées majeures de la réforme réside en l’élargissement de la notion de produit. Désormais, la directive intègre explicitement l’électricité ainsi que les logiciels dans son champ d’application. En revanche, afin de ne pas freiner l’innovation et la recherche, le texte prévoit explicitement que les logiciels libres et open source sans vocation commerciale sont exclus du régime de responsabilité. 

Autre évolution clé : la prise en compte des composants immatériels d’un produit, tels que les fichiers de fabrication numériques ou encore les services numériques intégrés ou interconnectés. Cette extension marque la volonté de l’Union européenne d’adapter le droit à la transformation numérique et aux nouveaux risques technologiques.

Ainsi, la responsabilité du fait des produits défectueux couvrira désormais des éléments essentiels comme les logiciels, les applications et les systèmes d’intelligence artificielle, garantissant une meilleure protection des utilisateurs dans un environnement de plus en plus dématérialisé.

  • QUELS PRODUITS SONT DÉSORMAIS CONCERNÉS PAR CETTE NOUVELLE RÈGLEMENTATION ?

La directive maintient l’approche traditionnelle du défaut du produit, qu’il soit intrinsèque (lié à ses caractéristiques propres) ou extrinsèque (tenant à sa présentation et à son emballage), en se fondant sur les attentes légitimes du consommateur moyen. Cependant, elle va plus loin en intégrant des évolutions technologiques récentes.

Désormais, un produit pourra être jugé défectueux non seulement selon des critères classiques, mais aussi en fonction de sa capacité à apprendre ou à évoluer après sa mise sur le marché – un point essentiel pour les dispositifs intégrant de l’intelligence artificielle.

Autre nouveauté : la directive prend en compte l’impact des interactions avec d’autres produits, en particulier dans l’univers des objets connectés, où les défaillances peuvent résulter d’une utilisation combinée.

Enfin, la sécurité des produits ne se limite plus à leur conception matérielle : elle intègre désormais les exigences en matière de cybersécurité, un enjeu clé dans un monde toujours plus interconnecté.

  • PRODUITS DÉFECTUEUX, QUI EST RESPONSABLE ?

Outre le producteur, l’importateur et le fournisseur (qui remplace la notion de distributeur), déjà concernés par le régime actuel, la réforme élargit le cercle des acteurs pouvant être tenus responsables. Désormais, la victime pourra également mettre en cause :

  • Le représentant légal du fabricant étranger basé dans l’Union européenne ;
  • L’importateur du produit établi sur le territoire de l’UE ;
  • Le prestataire de services d’exécution des commandes, c’est-à-dire tout acteur impliqué dans la chaîne de distribution en fournissant des services connexes.

Si aucun de ces opérateurs n’est identifiable, la directive permet d’agir contre le distributeur du produit ou même la plateforme de commerce en ligne ayant facilité la vente du produit défectueux. L’objectif est qu’une entreprise établie dans l’UE puisse toujours répondre des dommages causés.

Enfin, en soutien à l’économie circulaire, la réforme précise qu’un fabricant modifiant un produit après sa mise sur le marché sera tenu au même titre que le fabricant d’origine en cas de défaut.

  • LA CONSÉCRATION DE NOUVEAUX PRÉJUDICES INDEMNISABLES

En plus des dommages déjà couverts par la directive de 1985 – atteintes corporelles et dommages aux biens, à l’exclusion du produit défectueux lui-même –, la réforme introduit une extension inédite du champ des préjudices indemnisables.

Désormais, une victime pourra obtenir réparation pour :

  • Les atteintes psychologiques médicalement reconnues, qui marque une avancée majeure dans la prise en compte des troubles non strictement physiques ;
  • La destruction ou la corruption de données personnelles, dès lors qu’elles ne sont pas utilisées à des fins professionnelles.

À titre d’exemple, la suppression accidentelle de fichiers numériques stockés sur un disque dur pourra donner lieu à indemnisation, illustrant ainsi l’adaptation du droit aux enjeux du numérique.

II – Les nouvelles modalités d’exécution de la responsabilité du fait des produits défectueux

  • LA PREUVE DU DÉFAUT FACILITÉE : QUELLES OPPORTUNITÉS POUR LES VICTIMES ?

La directive renforce et multiplie les opportunités pour le demandeur de recourir à des présomptions dans l’administration de la preuve. Ainsi, la défectuosité du produit, tout comme le lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage, seront présumés, notamment dans les cas impliquant des questions techniques ou scientifiques complexes

Au-delà de ces présomptions, la réforme impose aux États membres de garantir qu’une victime ayant apporté des éléments suffisants rendant sa demande « plausible » puisse obtenir du juge une injonction de divulgation des preuves détenues par le défendeur. Cette mesure est essentielle dans les litiges impliquant des systèmes d’intelligence artificielle, où l’asymétrie d’information entre la victime et le fabricant est particulièrement marquée.

Ainsi, cette évolution marque un rééquilibrage du rapport de force entre consommateurs et industriels, ouvrant la voie à une réparation plus efficace des préjudices.

  • EXONÉRATION DES FABRICANTS, QUELLES SONT LES NOUVELLES LIMITES ?

Si la réforme maintient les causes d’exonération classiques – comme un défaut survenu après la mise sur le marché, la conformité aux normes légales et le risque de développement –, elle adapte ces principes aux défis des nouvelles technologies.

Désormais, un fabricant ne pourra plus s’exonérer de sa responsabilité en invoquant l’apparition d’un défaut après la mise sur le marché si celui-ci résulte d’éléments sous son contrôle direct, comme les logiciels et leurs mises à jour. Cette évolution prend en compte le rôle actif des mises à jour dans la performance et la sécurité des produits.

Par ailleurs, la directive précise les conditions d’exonération fondées sur le risque de développement. Le fabricant pourra s’en prévaloir uniquement si l’état des connaissances au moment de la mise sur le marché ou en service ne lui permettait objectivement pas d’identifier le défaut tant que le produit était sous son contrôle.

Cette réforme réduit ainsi les marges d’exonération des industriels, renforçant la protection des consommateurs face aux évolutions technologiques.

  • LA RÉVISION DES DÉLAIS DE RECOURS, DE NOUVELLES RÈGLES DE PRESCRIPTION

Le délai décennal de forclusion est maintenu, mais son point de départ est modifié lorsqu’un produit subit une modification substantielle. Dans ce cas, le délai de forclusion commence à courir à partir de la nouvelle mise à disposition ou mise en service du produit.

En parallèle, une nouveauté importante consiste en l’introduction d’un délai butoir de 25 ans, applicable lorsque le préjudice corporel de la personne lésée reste latent et ne se révèle pas au cours des dix premières années suivant la mise sur le marché, de sorte que la victime n’est pas en mesure d’agir dans le délai butoir de dix ans prévu par le régime actuel. Cette disposition s’applique particulièrement aux dommages corporels dont les symptômes sont d’apparition lente tels que l’exposition à l’amiante ou à des produits de santé ou phytosanitaires.

Cette nouvelle directive européenne marque un tournant décisif dans le régime de responsabilité du fait des produits défectueux. En intégrant les défis liés à la numérisation et à l’interconnexion des produits, elle adapte le cadre juridique aux réalités d’un marché en constante évolution.

Si son objectif premier est de renforcer la protection des consommateurs et d’assurer une plus grande transparence, cette réforme alourdit également les obligations des fabricants et des acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Ceux-ci devront anticiper une responsabilité accrue, des exigences renforcées et des coûts potentiels plus élevés, notamment en matière de conformité et de sanctions financières.

Le cabinet se tient à votre disposition pour vous accompagner dans l’intégration des nouvelles exigences de cette réglementation, afin de sécuriser au mieux vos activités.

1- Directive 2024/2853

2- Directive 85/374/CEE

3- Code civil -Responsabilité du fait des produits défectueux

4- Commission européenne, Question écrite n° 706/88, 5 juillet 1988 et réponse, 15 novembre 1988, JOCE 8 mai

Raphaël Escondeur

Raphaël Escondeur

Étienne Feildel

Étienne Feildel

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