Aut. Conc., déc. n° 21-D11 du 7 juin 2021
L’actualité judiciaire ne cesse de révéler les pratiques prédatrices que certaines entreprises du numérique mettent en œuvre pour défendre et accroître leur position dominante. Google fait à cet égard figure de figure de proue. L’on se souvient qu’en 2020 l’Autorité de la concurrence avait enjoint à Google de négocier avec les éditeurs et agences de presse la rémunération qui leur est due au titre de la loi relative aux droits voisins pour la reprise de leurs contenus protégés (déc. n° 20-MC-01 du 09 avril 2020). L’année 2021 a débuté par une décision du Tribunal de commerce de Paris qui, en février dernier, a condamné Google pour abus de position dominante, et notamment pour avoir suspendu de manière intempestive les comptes AdWords d’un annonceur (Trib. com. Paris, 10 févr. 2021, n° RG 2020035242, Oxone Technologies c/ Google).
L’Autorité de la concurrence de la concurrence vient de rendre une décision s’inscrivant dans la même perspective puisqu’elle condamne Google pour abus de position dominante et pour des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité sur Internet (déc. n° 21-D-11 du 07 juin 2021).
Quel était, en premier lieu, le marché pertinent sur lequel l’abus a été constaté par l’Autorité ? Celui des technologies publicitaires utilisées par les éditeurs de sites web et d’applications mobile pour mettre en vente leurs espaces publicitaires : les serveurs publicitaires, d’abord, qui permettent l’affichage de publicités sur le site web ou l’application mobile de l’éditeur, et les plateformes de mise en vente programmatique, ensuite, qui sont des places de marché où se rencontrent les acheteurs d’espaces publicitaires et les éditeurs souhaitant vendre des espaces publicitaires.
Quels étaient, en second lieu, les plaignants ? Il s’agissait d’éditeurs de presse, parmi lesquels Newscorp et le groupe Rossel.
Quelles étaient, en troisième lieu, les pratiques de Google sanctionnées par l’Autorité ? Principalement, des pratiques discriminatoires visant à favoriser les technologies de ventes publicitaires de Google : son serveur publicitaire DFP et sa plateforme de mise en vente programmatique Adx.
D’une part, l’Autorité a relevé des difficultés d’interopérabilité entre les serveurs publicitaires concurrents et la plateforme de mise en vente de Google AdX. Ce point était nodal car l’on sait que, afin de pouvoir optimiser leurs revenus et maximiser leurs chances de vendre un espace publicitaire donné, les éditeurs mettent généralement en vente un même espace publicitaire via plusieurs plateformes de vente aux enchères simultanément. En revanche, les éditeurs utilisent généralement un unique serveur publicitaire pour organiser la compétition entre les différentes plateformes de mise en vente. L’interopérabilité d’un serveur publicitaire avec les plateformes de mise en vente détermine donc tant le revenu que tirent les éditeurs de leurs espaces publicitaires que l’attractivité des plateformes d’enchères. L’on se souvient qu’en 2007, Microsoft avait été condamné par le Tribunal de l’UE pour des faits similaires consistant à avoir refusé de communiquer à des programmeurs des informations permettant l’interopérabilité entre Windows et des logiciels conçus par eux (TPICE, 17 septembre 2007, n° T-201/04).
D’autre part, l’Autorité le fait pour Google d’avoir imposé des limitations techniques et contractuelles à l’utilisation de la plateforme AdX par l’intermédiaire d’un serveur publicitaire tiers. Les modalités d’interaction offertes aux clients des serveurs publicitaires tiers étaient, de ce fait, inférieures aux modalités d’interaction entre le serveur DFP de Google et AdX, ce qui pénalisait à la fois les plateformes tierces de mises en vente d’espaces publicitaires, mais aussi les clients éditeurs. Google est coutumier de ces pratiques. Il faut en effet se souvenir qu’en juillet 2018 la Commission européenne l’avait condamné pour avoir imposé des restrictions illégales aux fabricants d’appareils Android et aux opérateurs de réseaux mobiles, afin de consolider sa position dominante sur le marché de la recherche générale sur l’Internet.
Google n’a, en l’espèce, pas choisi de contester les griefs qui lui ont été notifiés et s’est placé sous le bénéfice de la procédure de transaction (art. L. 464-2-III du Code de commerce). Celle-ci, introduite en 2015, permet aux entreprises qui ne contestent pas les faits qui leur sont reprochés d’obtenir le prononcé d’une sanction pécuniaire à l’intérieur d’une fourchette proposée par le rapporteur général et ayant donné lieu à un accord des parties.
Dans le cadre de cette procédure négociée, Google a pris les engagements suivants. D’abord, l’entreprise s’est engagée à offrir aux plateformes tierces une modalité d’interopérabilité avec le serveur DFP. Cet engagement implique de permettre un accès équitable à l’information sur le déroulé des enchères pour les plateformes tierces ; de préserver la pleine liberté contractuelle des plateformes tierces de sorte que celles-ci puissent négocier des conditions particulières avec les éditeurs ou pour mettre en concurrence les acheteurs qu’elles souhaitent ; de garantir qu’AdX n’utilise plus le prix de ses concurrents afin d’optimiser ses enchères d’une manière qui ne soit pas reproductible par les plateformes tierces ; d’offrir des garanties de stabilité technique, tant pour plateformes tierces que pour les éditeurs. Enfin, Google s’engager à apporter des changements aux configurations existantes qui permettent aux éditeurs utilisant des serveurs publicitaires tiers d’avoir accès à la demande AdX en « temps réel ».
Désormais, les victimes de ces pratiques anticoncurrentielles – spécialement les éditeurs et les plateformes tierces – sont fondées à agir en responsabilité civile contre Google. Lorsque le délai de recours contre la décision de l’Autorité aura expiré, les victimes pourront agir sur le fondement des articles L. 481-1 et suivants du Code de commerce. Elles pourront, selon le cas, demander notamment réparation de leurs pertes faites, de leurs gains manqués, de leurs pertes de chance et de leur préjudice moral (art. L. 481-3 du Code de commerce).
Ces préjudices peuvent être particulièrement élevés s’agissant de comportements s’étant produits dans le domaine de la publicité en ligne. L’on sait par ailleurs combien le modèle économique de nombre d’entreprises repose sur les contenus sponsorisés.