Avec la mise à l’arrêt de l’économie et la mise sous perfusion financière des entreprises, l’actualité des procédures collectives a dernièrement laissé sur leur faim les praticiens et les commentateurs de la matière. Point de procédures collectives en l’absence de difficultés des entreprises ! Le regard doit alors se tourner non vers la pratique ou la jurisprudence, mais vers le législateur, ou plutôt les législateurs puisque le droit des entreprises en difficultés subit aujourd’hui tend l’influence du droit européen (Dir. [UE] 2019/1023 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes) que celle du pouvoir règlementaire (Ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce).
Cette dernière influence est d’ailleurs double puisque l’amendement du droit des entreprises en difficulté doit se lire au prisme d’autres ordonnances, l’une relative à la pandémie (n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de covid-19), l’autre consacrée au droit des sûretés (Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés en application de l’article 60 de la loi Pacte). Rien de plus normal s’agissant de matières étroitement liées (voy. parmi de nombreuses références, Cl. Favre-Rochex, Sûretés et procédures collectives (préf. M. Grimaldi, LGDJ, 2020).
Au titre des modifications de source européenne, l’on retiendra principalement les éléments suivants.
En premier lieu, l’on notera l’extension, en matière de prévention, des pouvoirs du juge en matière d’enquête sur la situation économique et financière du débiteur. C’est désormais dès l’envoi de la convocation du dirigeant (et non plus à l’issue de son entretien) auprès du président du tribunal que ce dernier peut recueillir tout renseignement de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique et financière du débiteur (art. L. 611-2 du Code de commerce).
En second lieu, et en matière de sauvegarde, l’on remarquera l’impossibilité de prolonger la période d’observation au-delà de 12 mois (art. L. 621-3 modifié). Les autres procédures judiciaires peuvent toujours faire l’objet d’une période d’observation allant jusqu’à 18 mois.
En dernier lieu, les créanciers de la période d’observation contempleront en outre avec intérêt le nouvel article L. 622-17, qui n’octroie plus seulement de privilège au prêteur, mais à toute personne faisant un « apport de trésorerie ». Cet ajout répond à une exigence de la Directive précitée, imposant une rémunération prioritaire des personnes sources de nouveaux financements en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure d’insolvabilité (art. 17 de la Directive).
Au titre des modifications de source interne, l’on prendra principalement en considération les éléments suivants.
Remarquons que le législateur français a reconduit, dans le droit post crisin, le droit in crisin. Ce n’est qu’une autre illustration de ce qu’un droit d’exception peut devenir un droit de principe. La lex epidemia (X. Delpech, « Lex epidemia », AJ Contrat, 2020, p. 157), applicable en temps de crise, peut faire éclore dans l’esprit du législateur la conscience de la pertinence définitive d’un dispositif conçu comme transitoire. Les pénalistes connaissent et regrettent depuis longtemps ce phénomène de reconduction de ce que l’on pourrait appeler la lex terrorem dans le droit commun.
L’on trouve en droit des procédures collectives plusieurs illustrations de cette reconduction du droit d’exception.
Ainsi, en premier lieu, du droit d’alerte du commissaire aux comptes. Le nouvel article L. 611-2-2 du Code de commerce dispose que « lorsqu’il lui apparaît que l’urgence commande l’adoption de mesures immédiates et que le dirigeant s’y refuse ou fait savoir qu’il envisage des mesures que le commissaire aux comptes estime insuffisantes, ce dernier peut en informer le président du tribunal compétent ».
Une même confirmation du droit de crise se rencontre à l’article L. 611-7 du Code de commerce, qui permet au débiteur en conciliation de solliciter du président du tribunal l’application du l’article 1343-5 du code civil relatif au délai de grâce à l’égard d’un créancier qui n’accepte pas « dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l’exigibilité de la créance » pendant la durée de la procédure.
Reconduction du droit de crise, également, à propos de la procédure de sauvegarde accélérée, étendu à toutes les entreprises dont les comptes ont été certifiés par un commissaire aux comptes ou établis par un expert-comptable (L. 628-1 al. 4). Cette procédure peut désormais être de 4 mois maximum (art. L. 628-8).
Reconduction du droit de crise, enfin, à propos du sens à donner au comportement des créanciers dont le débiteur fait l’objet d’un plan. Désormais, c’est tant lors de son élaboration que de sa modification substantielle que le silence des créanciers vaudra acceptation, à moins qu’il ne s’agisse « de remises de dettes ou de conversions en titres donnant ou pouvant donner accès au capital » (art. L. 626-26).
Mais les sources internes ne sont pas seulement animées d’un esprit de conservation du droit ancien.
L’on remarquera notamment l’insertion d’un article L. 611-10-4 brisant une jurisprudence très contestée de la chambre commerciale en matière de sûretés consenties dans le cadre d’un accord de conciliation (Com. 25 sept. 2019, n° 18-15.655). Désormais, « la caducité ou la résolution de l’accord amiable ne prive pas d’effets les clauses dont l’objet est d’en organiser les conséquences ». Les rédacteurs d’actes prendront donc soin de rendre autonomes les clauses relatives aux sûretés par rapport au reste de l’accord.
Par ailleurs, et afin de favoriser la bonne articulation du droit des procédures collectives avec les sûretés, il est désormais prévu que « le juge-commissaire peut autoriser le débiteur à faire un acte de disposition étranger à la gestion courante de l’entreprise, à consentir une sûreté réelle conventionnelle en garantie d’une créance postérieure à l’ouverture de la procédure, à payer le transporteur exerçant une action au titre de l’article L. 132-8 du code de commerce ou à compromettre ou transiger ».
Enfin, les créanciers n’ayant pas déclaré leur créance au passif de la procédure sont éclairés sur leur sort : très naturellement, leur créance « et les sûretés » (art. L. 622-26) sont inopposables au débiteur pendant l’exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus. Cette large inopposabilité est étendue aux « personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie ».