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Cédric Dubucq

Cédric Dubucq

Mathieu Couvé

Mathieu Couvé

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9/05/2025

La fiducie-gestion, outil au service de la transmission et de la protection patrimoniale

Dans un contexte économique et familial en constante évolution, la gestion et la transmission du patrimoine, qu’il soit professionnel ou privé, soulèvent des problématiques complexes. Pour les dirigeants d’entreprise, la question de la continuité de leur activité en l’absence de repreneur au sein de la famille est un défi majeur, conjuguant enjeux de gouvernance, impacts fiscaux et préservation de la pérennité de l’entreprise. Parallèlement, les particuliers s’interrogent sur les solutions permettant d’anticiper les aléas de la vie, qu’il s’agisse de vulnérabilités personnelles ou de celles de leurs héritiers.

Dans ce cadre, la fiducie se révèle comme un mécanisme innovant et flexible, répondant à ces multiples défis. Prévue par les articles 2011 et suivants du Code civil, elle permet de constituer un patrimoine distinct géré par un fiduciaire dans l’intérêt d’un ou plusieurs bénéficiaires. Que ce soit pour sécuriser la transmission d’une entreprise familiale, protéger un patrimoine privé en cas d’incapacité ou encore envisager de nouvelles perspectives comme la fiducie-libéralité, ce dispositif offre des solutions adaptées, conciliant efficacité juridique et optimisation fiscale.

Cet article a vocation à explorer les applications pratiques de la fiducie-gestion, tant dans le cadre de la transmission d’entreprise que dans celui de la gestion patrimoniale, tout en examinant les évolutions législatives nécessaires pour renforcer la compétitivité du droit français face à des systèmes étrangers, tels que le trust anglo-saxon.

I. FIDUCIE-GESTION ET TRANSMISSION D’ENTREPRISE

Le processus de transmission de l’entreprise familiale, souvent complexe, est particulièrement difficile lorsqu’aucun des enfants du dirigeant n’est à même de reprendre les rênes de l’activité.

Lorsque les enfants repreneurs font défaut, les dirigeants se trouvent face à un dilemme. Les choix possibles incluent la cession à des tiers, parfois perçue comme un déchirement, et dans l’intervalle, l’avenir de l’entreprise est incertain. Cette situation soulève de nombreux défis, notamment liés aux conséquences pour l’entreprise et son environnement économique, ainsi qu’à l’impact fiscal d’une telle transmission.

L’absence d’un repreneur clairement identifié entraîne une incertitude importante autour de l’entreprise.

En effet, les collaborateurs, partenaires ou autres tiers peuvent légitimement s’interroger sur l’avenir de la structure, pouvant nuire à sa réputation, à son volume d’affaires ou à sa valorisation.

Sur le plan fiscal, la transmission d’une entreprise ayant connu une forte croissance soulève des enjeux importants puisqu’en cas de cession, le dirigeant est confronté à l’imposition de la plus-value réalisée, d’une importance significative compte tenu de l’évolution importante de la valeur de la société.

Une solution idéale serait d’anticiper la transmission en effectuant une donation des titres de la société aux enfants, même non-repreneurs, pour effacer la plus-value imposable. En parallèle, instaurer une gouvernance adaptée renforcerait la confiance des partenaires et assurerait la stabilité de l’entreprise jusqu’à une éventuelle cession à un tiers.

Face à ces problématiques, la fiducie-gestion apparaît comme un véhicule pertinent pour répondre aux enjeux liés à la transmission d’entreprise tout en garantissant une continuité harmonieuse et une optimisation de la fiscalité.

APPLICATIONS PRATIQUES DE LA FIDUCIE-GESTION

Présentation de la fiducie :

Prévue par les articles 2011 et suivants du Code Civil, la fiducie est le contrat par lequel un « constituant » transfère la propriété de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire géré par un « fiduciaire », séparément de son patrimoine propre, au profit d’un « bénéficiaire ». Cette gestion peut être contrôlée par un « tiers protecteur », librement nommé.

Dans le cas d’un dirigeant d’une entreprise familiale ayant connu une forte croissance, majoritaire au capital qui, en l’absence d’enfant repreneur se tourne vers l’hypothèse d’une cession, la fiducie-gestion nous semble opportune selon le schéma décrit ci-après.

1. La donation avec charge de constituer une fiducie

Une première structuration consisterait pour un dirigeant d’entreprise à donner les titres de la société à ses enfants en précisant dans l’acte de donation qu’ils auront la charge de constituer une fiducie et de placer les titres reçus au sein du patrimoine fiduciaire. En transmettant ses titres sociaux dans le patrimoine fiduciaire, le dirigeant conserverait sa fonction de gestion de la société. Les droits liés aux titres sociaux seront exercés par le fiduciaire conformément aux indications prévues dans le contrat de fiducie. Autrement dit, il pourra être expressément prévu que le fiduciaire devra agir et voter selon les recommandations du dirigeant, et ce jusqu’à prise de décision effective de cession par le dirigeant.

Dans ce schéma, les donataires ayant reçu les titres sont à la fois les constituants de la fiducie ainsi que les bénéficiaires car ils retrouveront la propriété et la disposition des titres à la disparition de celle-ci afin de pouvoir les céder à titre onéreux au cessionnaire repreneur.

Assez naturellement, il convient de souligner que ce schéma risque de se heurter à la réserve héréditaire prévue par l’article 912 du Code civil. En ce sens, il nous semble alors opportun pour le donateur de procéder à la donation de son vivant et pour le donataire de renoncer de manière anticipée à leur action en réduction (RAAR) selon le mécanisme codifié aux articles 929 à 930-5 du Code civil.

Cette solution permet, en l’absence d’enfant repreneur, de concilier la nécessité de préserver une stabilité de l’entreprise en ne bouleversant pas sa gouvernance avec le besoin impératif d’anticiper la transmission du patrimoine. Sur le plan fiscal, cette structuration permet par la donation d’effacer la plus-value et de voir la transmission d’entreprise être imposée selon le barème des DMTG, fiscalement plus favorable dans cette situation ainsi que de bénéficier d’une première purge des abattements pour donation en ligne directe (100 000 €, tous les 15 ans par enfant et par parent).

2. Utilité de la fiducie dans la gestion du prix de cession de l’entreprise

Une alternative peut être envisagée pour permettre, par le biais d’une fiducie-gestion, de structurer et sécuriser la gestion du prix de cession de l’entreprise appréhendé par les enfants après donation-cession.

1ère étape : donation puis cession des titres

Le dirigeant majoritaire cède ses titres à ses enfants non-repreneurs qui apportent les titres transmis à des sociétés civiles nominatives créées pour l’occasion. Les sociétés civiles cèdent conjointement les titres de la société au cessionnaire et reçoivent respectivement une fraction du prix de cession.

2ème étape : constitution des fiducies-gestion

Les sociétés civiles constituent des fiducies et apportent les liquidités obtenues au sein du patrimoine fiduciaire. Les liquidités sont gérées par un professionnel habilité à cet effet dans le but de protéger les enfants associés des sociétés civiles.

Le parent donateur peut être désigné comme tiers protecteur pour contrôler la bonne gestion du patrimoine par le fiduciaire.

Le fiduciaire dont la mission est déterminée par le contrat de fiducie pourra être chargé de souscrire à un contrat de capitalisation par enfant ou d’utiliser les liquidités pour réaliser des investissements.

Les sociétés civiles constituantes de la fiducie en sont également les bénéficiaires et récupèreront le produit de la gestion au dénouement de la fiducie.

Cette solution permet, en l’absence d’enfants repreneurs, à la fois anticiper la transmission de patrimoine pour bénéficier de l’ensemble dispositions fiscales favorables et en particulier les abattements pour donation en ligne directe d’un montant de 100 000 € tous les 15 ans par enfant et par parent, ainsi que l’effacement de la plus-value latente pour être imposé selon le barème des DMTG, mais également d’assurer la protection des enfants par le biais de sociétés civiles patrimoniales gérées par un fiduciaire dans cet intérêt.

II. FIDUCIE GESTION ET PROTECTION DU PATRIMOINE PRIVÉ

1. Fiducie gestion « pour autrui » – anticipation d’une infirmité

Soit une holding dont le capital est détenu majoritairement par les parents et le surplus par les enfants qui détient entièrement les titres de deux SCI. Les parents assument la gestion quotidienne des biens immobiliers et les enfants sont vulnérables ou prodigues.

Les parents veulent anticiper leur éventuelle incapacité ou décès afin que les enfants ne se retrouvent pas en position ou n’aient pas la charge de gérer le patrimoine immobilier. 

1ère étape.

Les parents prévoient en cas d’incapacité, la constitution d’une fiducie par la holding qui place au sein du patrimoine fiduciaire les titres des SCI afin de sécuriser le patrimoine immobilier familial et assurer une source de revenus à l’ensemble de la famille.

2ème étape.

Au jour de la constatation d’une infirmité, la fiducie est constituée par la holding qui transfère les titres détenus.

Les titres seront gérés et les droits exercés par un fiduciaire désigné conformément aux indications prévues dans le contrat de fiducie par le constituant (en pratique par les parents, majoritaires au capital de la holding au moment de la constitution de la fiducie).

Le conjoint valide ou survivant pourra également être désigné tiers protecteur par le contrat de fiducie et contrôlera la bonne gestion des titres par le fiduciaire.

La holding est bénéficiaire de la fiducie et retrouvera la propriété des titres de SCI à son dénouement prévu contractuellement.

Le recours à la fiducie gestion permet de répondre efficacement à la problématique d’anticipation d’une incapacité en sécurisant le patrimoine familial. En transférant les titres des SCI au sein d’un patrimoine fiduciaire géré par un fiduciaire selon les volontés des parents, elle garantit une gestion stable des biens et une source de revenus pour les enfants, sans leur imposer une charge qu’ils ne pourraient assumer. 

2. Fiducie gestion « pour soi-même » – alternative au mandat de protection future

La fiducie trouve des applications opportunes pour gérer le patrimoine d’une personne touchée d’une incapacité et semble ne pas subir les mêmes limitations que les outils utilisés habituellement.

Prenons l’exemple de deux époux qui souhaitent prévoir la gestion de leur patrimoine à la survenance d’une infirmité et à la mise en place d’une mesure de protection judiciaire.

1ère étape :

Les époux constituent une fiducie et désignent un fiduciaire qui sera chargé de la gestion de leurs biens dans l’intérêt du majeur protégé à la survenance d’une incapacité.

2ème étape :

Au jour de la constatation d’une infirmité de l’un des deux époux et antérieurement à la mise en place d’une mesure de protection judiciaire, les biens de l’époux incapable sont transférés au sein du patrimoine fiduciaire. Le fiduciaire sera chargé de gérer ses biens dans son intérêt et conformément aux dispositions prévues dans le contrat de fiducie à sa constitution, c’est-à-dire au moment où l’époux était valide.

Pour éviter tout conflit avec la personne en charge de la protection du majeur du fait de la mesure de protection judiciaire, le fiduciaire ne pourra exercer aucune charge tutélaire ou curatélaire à l’égard du constituant (art. 445 Code civil). Le fiduciaire devra par ailleurs rendre compte de sa mission annuellement ou plus régulièrement selon les dispositions du contrat de fiducie au tuteur ou curateur (art. 2022 Code civil).

Le conjoint valide pourra être désigné tiers protecteur par le contrat de fiducie et contrôlera la bonne gestion du patrimoine de l’époux infirme par le fiduciaire qui lui rendra compte de sa mission selon une périodicité fixée par le contrat de fiducie.

Le mandat de protection future présente des limitations qui peuvent compromettre son efficacité. Dans le cadre d’un mandat notarié, l’accomplissement d’actes de disposition importants, comme la vente de la résidence principale d’une personne frappée d’incapacité, nécessite l’autorisation du juge. De plus, un mandat sous seing privé limite le mandataire aux seuls actes d’administration, restreignant ainsi la gestion patrimoniale.

La fiducie, quant à elle, repose sur une large liberté contractuelle et semble surmonter ces contraintes. Régie principalement par la volonté des constituants et encadrée par quelques dispositions légales, elle offre une alternative plus souple au mandat de protection future. Le mécanisme fiduciaire permet de gérer et de disposer librement du patrimoine sans nécessiter une intervention judiciaire, tout en garantissant une administration adaptée et efficace des biens du majeur.

III. VERS UNE FIDUCIE-LIBÉRALITÉ ?

Si la fiducie-libéralité était initialement prévue dans le projet de loi initialement proposé par la Chancellerie, elle a été écartée du texte final en raison des préoccupations liées aux risques de fraude et d’évasion fiscales.

La fiducie-libéralité est une libéralité qui se réalise par l’intermédiaire d’un tiers. La propriété n’est pas directement transférée du disposant au gratifié mais transite entre temps entre les mains d’un intermédiaire.

Depuis lors, malgré des arguments solides plaidant en faveur de sa légalisation, le législateur n’a pas modifié sa position.

Cependant, face à la multiplication des voix appelant à sa reconnaissance et aux justifications légitimes qui soutiennent cette démarche, il conviendrait de réexaminer l’opportunité d’instituer la fiducie-libéralité.

1. Une nécessaire modification textuelle

D’évidence, si une réforme de la fiducie instituant la fiducie-libéralité intervenait, il conviendrait d’abroger les articles 2013 du Code civil prohibant actuellement les fiducies procédant d’une intention libérale, 2029 qui dispose que la fiducie prend fin par la mort du constituant et 2030 afin que la fiducie se dénoue au profit du bénéficiaire.

2. Favoriser la compétitivité juridique et économique du droit français

La consécration de la fiducie-libéralité renforcerait l’attractivité du droit français dans un contexte de globalisation juridique. Ce mécanisme permettrait d’enfin pouvoir concurrencer des outils patrimoniaux tels que le trust, largement utilisé dans les systèmes anglo-saxons ou à défaut d’en proposer une alternative complète en droit français.

En l’absence d’équivalent au trust en droit interne, la France se prive actuellement de nombreux particuliers et investisseurs qui ont l’habitude d’investir via ce véhicule et qui préfèrent alors se tourner vers des solutions étrangères ou renoncer à leurs investissements en France. L’adoption de la fiducie-libéralité réduirait ce phénomène en offrant une alternative efficace et pourrait permettre d’attirer davantage d’investisseurs internationaux, séduits par un système juridique offrant des solutions souples et sécurisées pour la transmission et la gestion patrimoniale.

3. Une réforme ne nécessitant pas une refonte totale du cadre règlementaire

La fiducie-libéralité s’inscrirait dans un cadre juridique déjà transparent et rigoureux. Les dispositions en vigueur prévoient que les contrats de fiducie sont enregistrés auprès des services fiscaux et inscrits dans un registre national, garantissant leur traçabilité (articles 2019 et 2020 du Code Civil).

Ce dispositif, n’exigerait qu’une simple adaptation pour intégrer la fiducie-libéralité, sans avoir à effectuer une refonte complète. Cette transparence, renforcée si nécessaire par des actes notariés ou une validation judiciaire, offrirait un outil sécurisé et conforme aux exigences légales et permettrait d’enfin concilier un regain nécessaire de la compétitivité juridique et économique du droit français avec l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

BD FIDUCIE se tient à votre disposition pour vous accompagner sur ces problématiques de transmission d’entreprise et de gestion patrimoniale.

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