La cession temporaire d’usufruit a longtemps été un moyen d’optimisation fiscale très efficace. Néanmoins, au travers des années, le Gouvernement a, à plusieurs reprises, essayé d’encadrer et de limiter les avantages fiscaux qui en découlent.
Afin de comprendre la subtilité de la cession temporaire d’usufruit et l’engouement des fiscalistes à la lecture de l’arrêt récent du Conseil d’État en date du 31 mars 2022[1], il est nécessaire d’appréhender dans un premier temps les avantages de la cession temporaire d’usufruit (I), et dans un second temps ses modalités d’imposition (II)
I. Les avantages de la cession temporaire d’usufruit
Un des montages fiscaux qui a longtemps fait ses preuves est celui de la cession temporaire d’usufruit à une société soumise à l’impôt sur les sociétés (IS).
Prenons l’exemple d’une SCI à l’impôt sur le revenu (IR) qui détient en pleine propriété un bien immobilier. Il est intéressant pour les associés de la SCI, de céder l’usufruit de leurs parts sociales, à une société à l’IS. Ainsi, la société à l’IS détiendra l’usufruit des titres de la SCI, tandis que les associés détiendront la nue-propriété des titres de la SCI.
L’avantage de ce montage est de pouvoir cumuler les bénéfices des deux régimes d’imposition que sont : l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, vivre à l’IS et mourir à l’IR.
En effet, les revenus produits par le bien immobilier, considérés comme des fruits, seront imposables entre les mains de l’usufruitier, c’est-à-dire la société à l’IS. Dès lors, ces revenus immobiliers seront imposés au taux de l’IS plafonné à 25%, nécessairement plus avantageux que le taux de l’IR pouvant aller jusqu’à 45% en sus des prélèvements sociaux. Mais surtout, l’application des règles fiscales propres à l’impôt sur les sociétés permettront de déduire les amortissements comptables des actifs immobiliers inscrits au bilan de la SCI.
Concernant les nus-propriétaires, une fois la pleine propriété reconstituée, ils bénéficieront du régime des plus-values immobilières des particuliers dans l’hypothèse d’une éventuelle cession.
II. Les modalités d’imposition de la cession d’usufruit
Afin de comprendre les modalités d’imposition de la cession d’usufruit, un saut dans l’histoire semble nécessaire.
Avant la promulgation de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2012, la cession onéreuse d’un usufruit était soumise à l’imposition sur les revenus dans la catégorie des plus-values. Le régime des plus-values est très avantageux puisque, seule la plus-value éventuelle est imposée, et certains abattements sont applicables, notamment l’exonération totale après 30 ans de détention en cas de plus-value immobilière.
Néanmoins, la loi de finances rectificative de 2012, a modifié le régime d’imposition de la cession d’usufruit. L’article 13 paragraphe 5 du Code General des Impôts (CGI), dispose désormais que la cession temporaire d’usufruit est imposable dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache le revenu concerné. Pour les revenus d’un bien immobilier, il s’agira donc de la catégorie des revenus fonciers. Par conséquent, l’exonération totale en raison de la durée de détention ne pourra plus s’appliquer et l’imposition portera sur l’entier prix de cession de l’usufruit.
Toute la subtilité résulte du fait que l’article 13 paragraphe 5 du CGI restreint ses dispositions à la cession d’usufruit temporaire. De fait, les cessions d’usufruit qui ne sont pas temporaires, autrement dit « usufruit viager », restent soumises au régime avantageux d’imposition des plus-values.
Quid de la distinction entre un usufruit temporaire et non temporaire ?
Il ressort des travaux parlementaires de la loi de finances rectificative de 2012, que l’usufruit à terme fixe est un usufruit temporaire, tandis que l’usufruit à terme indéterminé qui dépend de la durée de vie de son titulaire est un usufruit viager.
La distinction, simple lorsque la cession est consentie à des particuliers, se complexifie lorsqu’elle est consentie à des personnes morales. En effet, l’article 619 du Code civil dispose que « L’usufruit qui n’est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans ». Par conséquent, l’usufruit cédé à une personne morale est nécessairement limité à une durée de 30 ans.
De ce fait, la question se précise : l’usufruit consenti à titre viager à une personne morale, intrinsèquement limité à une durée de 30 ans en vertu de l’article 619 du Code civil, conserve-t-il son caractère viager ?
Il ressort d’une réponse ministérielle que « Les cessions d’usufruit viager ne sont pas concernées par ces nouvelles dispositions [en référence à l’article 13 paragraphe 5 du CGI]. Sont en revanche concernées les cessions d’un usufruit temporaire, qui s’entend du droit, consenti pour une durée fixe, d’utiliser le bien et d’en percevoir les fruits. À cet égard, l’usufruit consenti à une société constitue par principe un usufruit temporaire, la durée de cet usufruit ne pouvant excéder trente ans conformément aux dispositions de l’article 619 du code civil »[2].
L’administration fiscale a également apporté des précisions[3] en opérant une distinction :
- Lorsque l’usufruit est constitué à titre viager, c’est-à-dire consenti sur la tête de la personne morale : il s’agit d’un usufruit temporaire, puisque limité nécessairement à une durée de 30 ans. Les dispositions de l’article 13 paragraphe 5 du CGI sont donc applicables.
- En revanche, lorsque l’usufruit est préconstitué à titre viager, c’est-à-dire consenti sur la tête du cédant préalablement à la cession à la personne morale : l’usufruit conserve son caractère viager, à moins qu’il ne soit consenti pour une durée fixe.
La Cour de cassation a également jugé dans un arrêt en date du 26 septembre 2018[4] concernant les droits d’enregistrement afférents à la cession d’usufruit entre personnes morales qu’un usufruit à l’origine viager, cédé à une personne morale conserve le caractère viager, indépendamment de la limitation à 30 ans posés par l’article 619 du Code civil.
Qu’en est-il des juridictions administratives ?
Par un arrêt très attendu en date du 31 mars 2022, le Conseil d’État adopte une position quelque peu divergente par rapport à celle de la Cour de cassation.
En l’espèce, les requérants avaient bénéficié d’une donation de l’usufruit de parts sociales d’une SNC, lequel usufruit (préconstitué donc) avait ensuite été apporté à une SAS pour une durée de 30 ans. Pour les requérants cette cession d’usufruit n’était pas temporaire au sens de l’article 13 paragraphe 5 du CGI, puisque la fixation de la durée de 30 ans ne constituait pas un choix, mais une obligation légale résultant de l’article 619 du Code civil. Les requérants ont donc argumenté qu’il s’agissait non pas d’un usufruit temporaire, mais d’un usufruit préconstitué à titre viager.
L’usufruit préconstitué à titre viager, consenti pour une durée de 30 ans en raison l’article 619 du Code civil est-il un usufruit temporaire ?
Le Conseil d’État semble juger que tout usufruit cédé, qu’il soit préconstitué à titre viager ou non, est temporaire lorsqu’il est consenti pour une période qui n’est pas exclusivement déterminée par la durée de vie humaine. Il en conclut donc que la cession (ou l’apport qui s’assimile à une cession) de l’usufruit, préconstitué à titre viager, pour une durée contractuellement fixée à 30 ans est nécessairement un usufruit temporaire.
Il semblerait donc que la seule notion d’usufruit préconstitué à titre viager ne suffise plus pour qualifier un usufruit de viager aux fins échapper aux dispositions de l’article 13 paragraphe 5 du CGI.
Néanmoins, le Conseil d’État ne s’est prononcé que dans l’hypothèse où l’usufruit, préconstitué à titre viager, était consenti pour une durée déterminée expressément mentionnée dans l’acte. Or, nous pouvons nous demander si le Conseil d’État conserverait sa position dans l’hypothèse d’un usufruit, préconstitué à titre viager, consenti à une société pour laquelle l’acte ne préciserait pas la durée d’ordre public fixée par l’article 619 du Code civil.
Ces interrogations soulèvent néanmoins le caractère, aujourd’hui, risqué de la cession d’usufruit viager à une société.
Il peut en conséquence être intéressant de se tourner vers un autre mécanisme d’optimisation fiscale que constitue la société en commandite. En effet, la société en commandite permet, au même titre que jusqu’alors la cession d’usufruit, de bénéficier des avantages de l’IS pour les revenus de biens immobiliers, et des avantages de l’IR dans le cadre d’une éventuelle cession.
[1] CE, 31 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance c/ Mme D., n° 458518, aux Tables du
[2] Rép. min. n° 15540 : Joan 2 juill. 2013, p. 6919, J. Lambert.
[3] BOI-IR-BASE-10-10-30, 6 avr. 2017, §90
[4] Cass. com., 26 sept. 2018, n° 16-26.503, min. c/ Sté Placimmo : JurisData n° 2018-016986, publié au Bulletin
recueil Lebon