« Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente ». Ce sont les termes de l’article 368 du code pénal selon lesquels le principe non bis in idem signifie qu’une même infraction ne peut faire l’objet de plusieurs poursuites.
La caractérisation de l’existence d’une fraude fiscale expose toutefois le contribuable à un cumul de sanctions pénale et fiscale autorisé par notre droit français. Des garde-fous viennent encadrer un tel système afin que l’exigence constitutionnelle de proportionnalité des peines soit respectée.
L’articulation des deux procédures peut poser certaines difficultés notamment dans le cas où le contribuable fait par exemple l’objet d’une décharge d’imposition par le juge de l’impôt et que le juge pénal condamne ce contribuable dans le cadre d’une fraude fiscale.
- Ce double degré de poursuites porte t’il atteinte au principe non bis in idem ?
- Comment éviter une contrariété de décisions suite à des poursuites fiscale et pénale portant sur des mêmes faits ?
Un double degré de poursuites possible
Le cumul des sanctions pénales et fiscales est conforme à la Constitution. Ainsi, un fraudeur qui se serait soustrait volontairement à l’impôt ou au paiement de celui-ci, pourrait ainsi faire l’objet de poursuites fiscales et de poursuites pénales.
La loi du 23 octobre 2018 a aménagé le célèbre « verrou de Bercy » qui imposait jusqu’alors un avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF) préalablement à toute possibilité pour celle-ci de déposer plainte pour fraude fiscale à l’encontre d’un contribuable.
Dans sa nouvelle rédaction, récemment approuvée par le Conseil constitutionnel, l’article L. 228 du Livre des procédures fiscales (LPF) prévoit dorénavant l’obligation pour l’administration fiscale de dénoncer au ministère public les redressements dont les montants en droits et en pénalités sont atteints ; le législateur a entendu systématiser ce double degré de poursuites dès lors qu’un contribuable est redressé par l’administration fiscale pour un montant en droit de 100 000 euros, et à l’encontre duquel des pénalités de 40%, 80% ou 100% sont appliquées.
Exemple : Une personne physique est passible de sanctions administratives pour fraude fiscale, mais peut aussi être condamnée, sur le plan pénal à une amende de 500 000 euros dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction et à une peine d’emprisonnement de 5 ans (CGI Art. 1741, al. 1er).
Ainsi, l’administration fiscale est devenue en quelque sorte « lanceuse d’alerte » auprès du parquet, augmentant ainsi considérablement le risque pour les contribuables de cumul des procédures fiscale et pénale.
Un tel cumul limité aux infractions les plus graves
Parallèlement aux avancées législatives, les récents épisodes jurisprudentiels du Conseil constitutionnel et de la chambre criminelle de la Cour de cassation ont entendu remédier aux conséquences les plus fortes d’un tel cumul en assurant une meilleure articulation des procédures.
Selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans une série de six arrêts en date du 11 septembre 2019 opère un renversement de jurisprudence quant à sa position antérieure et ce, depuis la décision du Conseil constitutionnel du 24 juin 2016, selon laquelle le cumul de procédures fiscales et pénales pour les mêmes faits est possible, dès lors que l’introduction de poursuites pénales à la suite de sanctions fiscales est réservée aux cas les plus graves.
Ainsi, les faits ne présentant pas le caractère de gravité suffisante ne peuvent donner lieu, en plus de la poursuite fiscale, à une condamnation pénale, puisque dans ce cas, même si les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis les dispositions les réprimant ne sont pas applicables.
Un cas nouveau d’autorité de la chose jugée du juge fiscal sur le juge pénal
Selon la chambre criminelle de la Cour de cassation en 1967, les procédures fiscale et pénale sont par nature indépendantes l’une de l’autre.
Selon la Cour, « la procédure engagée devant la juridiction répressive à la suite d’une infraction pénale, et la procédure administrative qui tend à la fixation et au recouvrement de l’impôt sont, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l’une de l’autre ».
De cette indépendance a naturellement découlée l’absence d’autorité de la chose jugée du fiscal sur le pénal, et réciproquement, du pénal sur le fiscal. Autrement dit, le juge pénal ne s’estime pas lié par les décisions rendues par le juge de l’impôt.
En principe, le juge pénal n’est donc pas tenu de surseoir à statuer jusqu’à ce qu’une décision définitive du juge de l’impôt soit intervenue.
Toutefois, dans ses arrêts du 11 septembre 2019, la Cour de cassation a transposé à minima la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel et a laissé la faculté (et non l’obligation) pour le juge pénal de surseoir à statuer sur demande du contribuable en cas de risque sérieux de contrariété de décisions ; Il peut désormais le faire « en présence d’une décision non définitive déchargeant le prévenu de l’impôt pour un motif de fond » et cela de façon exceptionnelle.
Ainsi, le principe demeure bel et bien l’indépendance et la complémentarité des procédures fiscale et pénale, mais par exception, le juge pénal peut prononcer le sursis à statuer. Par exemple, ça pourra être le cas lorsque le juge pénal anticipe une décharge d’impôt pour un motif de fond.
Ce cas nouveau de sursis, bien que limité, apparaît toutefois comme une avancée au profit de l’harmonisation des procédures fiscale et pénale.
Quelles conséquences sur le principe non bis in idem: règle de non-cumul des peines
Ces positions du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation sont-elles conformes au principe du non bis in idem (selon lequel on ne peut juger deux fois les mêmes faits) principe protégé au niveau européen ?
L’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose que même dans les cas où le cumul des poursuites est permis, de sorte à ce qu’il existe une complémentarité entre les procédures, la décision du premier juge en faveur du mis en cause empêche l’exercice d’une nouvelle poursuite devant le second juge (CJUE, 20 mars 2018, Affaire Di Puma).
Ce principe figure aussi à l’article 4 du protocole 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En droit français toutefois, une réserve a été émise en marge de cet article de la CESH et limite de manière stricte l’application du principe non bis in idem aux infractions pénales, à l’exclusion de toutes les autres matières et notamment la matière fiscale. De jurisprudence constante, il est ainsi admis en France que des sanctions pénales peuvent être cumulées avec des pénalités fiscales, aux fins d’assurer la répression effective des infractions les plus graves.
Au sujet de la conformité de la réserve française à la CESDH, la Cour de cassation a considéré dans ses arrêts du 11 septembre 2019 qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier la validité d’une telle réserve. Dans la décision Grande Stevens du 4 mars 2014, la CEDH a été saisie pour savoir si des mêmes faits peuvent donner lieu à une sanction administrative de caractère punitif définitivement confirmée par les tribunaux et à une condamnation pénale prononcée par un autre tribunal sans qu’il y ait violation du principe non bis in idem. La CEDH apporte une réponse négative en condamnant la double répression administrative et pénale des abus de marché mise en œuvre par l’Italie sur le fondement de la règle non bis in idem. De par cette décision, il semblerait donc que la CEDH ait invalidé de manière indirecte la réserve française.
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