16 octobre 2024

L’amortissement du droit d’entrée chez le franchisé

Si les droits d’entrée et d’exclusivité géographique versés à un franchiseur peuvent à raison faire l’objet d’amortissements, un arrêt récent de la cour d’appel de Marseille est venu rappeler que cette pratique est subordonnée à l’existence d’un terme prévisible au contrat de franchise (CAA Marseille, 23 mai 2024, n°22MA03049I).

En l’espèce, une société d’entremise avait versé un droit d’entrée à un franchiseur pour l’intégration de son réseau et avait ensuite perçu des droits d’exclusivité géographique par certaines des autres sociétés franchisées. Ces droits avaient été inscrits dans la comptabilité du franchisé en tant qu’actifs incorporels immobilisés de l’entreprise et il avait alors été procédé à un amortissement linéaire sur une durée de 7 ans, soit la durée d’exécution du contrat de franchise.

L’Administration fiscale a entendu remettre en cause la validité de la déductibilité des amortissements, au motif de l’absence de terme prévisible au contrat, ce dernier contenant une clause de renouvellement tacite à l’issue d’une période de 7 ans. La société conteste ce prétendu défaut de terme et fait valoir sa pratique antérieure de résiliation systématique des contrats de franchise à leur échéance. En qualité de requérante, elle demande la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie.

La cour d’appel, confirmant le jugement de première instance, rejette cet argumentaire. Sans contester le principe selon lequel il est possible de procéder à l’amortissement d’un droit d’entrée, la Cour estime qu’il n’existe pas d’éléments probants permettant de caractériser, à la date de la signature du contrat de franchise, le non-renouvellement certain du contrat à l’échéance et donc un terme prévisible. En effet, aux fins de preuve, le franchisé avait simplement présenté des lettres de résiliation envoyées en 2011 et 2013 et un courrier en date de 2019 indiquant que la société résilie généralement les contrats à leur terme, « sauf circonstances exceptionnelles ».  La Cour n’y a vu tout au plus qu’une tendance de l’entreprise à la résiliation plus qu’une pratique certaine et définitive.

Retour sur la notion du droit d’entrée

Pour rappel, le droit d’entrée s’entend comme la somme forfaitaire versée par un franchisé à son franchiseur au moment de son entrée dans le réseau. Ce droit d’entrée est la contrepartie de certains services réalisés par le franchiseur, définis par le contrat de franchise, tels que la transmission du savoir-faire, l’exploitation de la marque, l’aide au recrutement ou encore l’assistance à la création de l’établissement franchisé.

Si ce droit d’entrée dépend naturellement des coûts supportés par le franchiseur pour le développement du réseau, son montant est également fixé sur la notoriété du réseau de franchise, les perspectives de rentabilité ou encore le domaine d’activité visé.

Le traitement comptable et fiscal du droit d’entrée

  • L’admission conditionnée de l’inscription en immobilisation

Chez le franchisé, le droit d’entrée versé est comptabilisé en fonction des éléments dont il représente la contrepartie.

En effet, la fraction qui rémunère des prestations du franchiseur vers le franchisé sont comptabilisés en tant que charges, représentatives de coûts. Tel est notamment le cas lorsque des prestations de publicité, de formation ou d’assistance, sont endossées par le franchiseur.

Autrement, la fraction qui rémunère le droit d’usage de la marque et du savoir-faire du franchiseur peut quant à elle constituer une immobilisation incorporelle, inscrite à l’actif du bilan. Ces éléments ne représentent non plus des coûts mais des ressources et une valeur économique positive pour le franchisé.

Une bonne rédaction du contrat permet de distinguer les montants enregistrés en charges et en immobilisations en identifiant le montant payé par le franchisé pour chaque contrepartie du droit d’entrée.

Dans cette hypothèse, qui a pour conséquence une facturation séparée du montant lié à l’immobilisation, le franchisé a alors en principe le droit de procéder à un amortissement en comptabilité.

  • L’admission conditionnée de l’amortissement

L’amortissement, qui se définit comme la prise en compte comptable de la perte de valeur d’un bien, permet d’étaler la charge liée à son coût sur la durée totale de l’utilisation.

Toutefois, et comme le rappelle la cour d’appel de Marseille, l’amortissement est conditionné à la présence d’un terme : il n’est admis que si le droit d’entrée correspond à un avantage spécifique dont les effets bénéfiques sur l’exploitation cesseront à une date prévisible.

Cette position est le fruit d’une application classique, en matière de franchise, des articles 39 du CGI et 38 sexies de l’annexe III, qui instaurent le principe en vertu duquel un élément d’actif incorporel identifiable ne peut donner lieu à une dotation à un compte d’amortissement que s’il est normalement prévisible, lors de sa création ou de son acquisition par l’entreprise, que ses effets bénéfiques sur l’exploitation prendront fin à une date déterminée.

Par ailleurs, cette prévisibilité du terme doit être corroborée par des éléments probants. L’espèce illustre le caractère insuffisant d’une pratique du franchiseur de résilier systématiquement les contrats de franchise à leur échéance, en dépit d’uneclause de renouvellement tacite figurant au contrat. 

Cette position de la cour d’appel suit par ailleurs une jurisprudence classique et constante qui considère que la tacite reconduction s’oppose congénitalement à la caractérisation d’un terme prévisible[1].

Illustration :

Supposons qu’un franchisé verse un droit d’entrée total de 100 000 € à son franchiseur. Ce montant se décompose comme suit :

  • Droit d’usage de la marque et du savoir-faire : 70 000 €
  • Formation initiale : 20 000 €
  • Assistance au démarrage : 10 000 €

Traitement comptable

Immobilisation incorporelle

  • 70 000 € sont comptabilisés au débit du compte 205 « Concessions et droits similaires »

Charges

  • 20 000 € sont enregistrés au débit du compte 6283 « Frais de formation »
  • 10 000 € sont inscrits au débit du compte 6226 « Honoraires »

Amortissement de l’immobilisation

Supposons que le contrat de franchise a une durée de 5 ans. L’amortissement annuel de l’immobilisation incorporelle sera : 70 000 € / 5 ans = 14 000 € par an.

Cette charge d’amortissement sera comptabilisée chaque année pendant 5 ans au débit du compte 6811 « Dotations aux amortissements sur immobilisations incorporelles » par le crédit du compte 2805 « Amortissements des concessions et droits similaires ».

Ce traitement permet au franchisé de répartir la charge du droit d’entrée sur la durée du contrat, reflétant ainsi mieux la réalité économique de l’opération.

Cet arrêt rappelle la prudence et le soin qui doivent être apportés à la rédaction du contrat de franchise, au regard tant de la détermination des contreparties du droit d’entrée, du traitement fiscal et comptable qui en découlera, que de l’appui probant que représentera le contrat de franchise en cas de contentieux.

En somme, la stabilité que les parties convoitent parfois en concevant un contrat certes à durée déterminée mais reconductible tacitement produit un effet fiscal pervers du côté du franchisé.


[1] CE, 01 octobre 1999, n° 177809 ; TA Lyon, 28 mai 2002, n°97-4911

Si vous souhaitez retrouver l’arrêt.

Anthony Roustan

Anthony Roustan

Charles Agostinelli

Charles Agostinelli

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