Un arrêt récent de la Cour de cassation nous rappelle à quelles conditions le manquement au devoir d’information précontractuelle du franchisé peut être retenu, mais aussi quels sont les moyens d’action des associés de la société franchisée (Com., 26 juin 2024, 23-14.085).
En l’espèce, un contrat de franchise avait été conclu en 2013 entre franchisé, désormais en liquidation judiciaire, et un franchiseur. Les associés du franchisé ont sollicité la nullité du contrat, arguant d’un dol du franchiseur.
La Cour de cassation, cassant l’arrêt d’appel, a censuré l’appréciation des juges du fond. Si ces derniers avaient retenu la conformité du document d’information précontractuelle (DIP) aux dispositions légales, la Haute Cour a souligné l’importance d’une analyse plus approfondie.
En effet, la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel le dol est une cause de nullité lorsque les manœuvres d’une partie sont telles qu’elles auraient vicié le consentement de l’autre partie. Or, les juges du fond auraient dû rechercher si le franchiseur, en omettant de signaler les procédures collectives survenues dans le réseau après la remise du DIP et avant la signature du contrat, n’avait pas commis une telle manœuvre.
Cette décision est particulièrement intéressante car elle souligne que la conformité du DIP à la date de sa remise ne saurait suffire à exclure tout vice du consentement. En effet, les évènements postérieurs à la remise du DIP peuvent également être pertinents pour apprécier la loyauté des relations contractuelles et la sincérité des informations fournies.
Ainsi, la Cour de cassation confirme que la responsabilité du franchiseur ne se limite pas à l’obligation de remettre un DIP conforme à la date de sa remise, mais s’étend à une obligation générale de loyauté et de transparence tout au long de la phase précontractuelle.
Par ailleurs, dans cette affaire, les associés de la société franchisée en liquidation judiciaire sollicitait du franchiseur la réparation du prétendu dol commis lors de la conclusion du contrat de franchise. La question de la recevabilité de leur action s’était posée, le franchiseur contestant leur qualité pour agir en raison de la procédure collective en cours.
La cour d’appel avait admis la recevabilité de l’action des associés, considérant que leur intérêt à agir n’était pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de leurs allégations.
Toutefois, la Cour de cassation a cassé cet arrêt, rappelant le principe selon lequel, en cas de liquidation judiciaire, seul le représentant des créanciers, puis le liquidateur, a qualité pour agir au nom et dans l’intérêt de l’ensemble des créanciers. Les associés, en tant que créanciers, ne pouvaient donc pas agir individuellement pour réclamer réparation d’un préjudice qui fait partie du passif social.
La Haute Cour a ainsi souligné que la réparation d’un préjudice collectif relève du monopole d’action du liquidateur, dont la mission est de reconstituer le passif social et d’assurer l’égalité entre tous les créanciers. Les associés ne peuvent donc se soustraire à cette règle en invoquant un préjudice individuel, dès lors que ce dernier est indissociable du préjudice collectif.
Cette décision vient préciser les règles applicables en matière de représentation des créanciers en cas de liquidation judiciaire et souligne l’importance de respecter le principe d’égalité entre tous les créanciers.
En matière de procédures collectives, qu’il s’agisse de redressement ou de liquidation judiciaire, un principe fondamental est celui de la représentation unique des créanciers par le mandataire judiciaire, puis par le liquidateur. Ce dernier est habilité à agir pour défendre l’intérêt collectif des créanciers, c’est-à-dire pour protéger et reconstituer le gage commun (Cass. com. 2-6-2015 n° 13-24.714 ; Cass. com. 8-3-2023 n° 21-18.677). Cela vaut notamment pour les actions en responsabilité engagées contre un tiers.
Toutefois, chaque créancier conserve un droit d’action individuel pour défendre ses intérêts propres distincts de ceux de la masse des créanciers (Cass. com. 11-10-1994 n° 90-16.309 ; Cass. com. 10-12-2013 n° 11-22.188). Cette action individuelle est possible à condition qu’elle ne porte pas atteinte à l’intérêt collectif, c’est-à-dire qu’elle ne vise pas à reconstituer le gage commun (Cass. com. 14-6-2017 n° 15-26.953).
Ces principes s’appliquent également aux associés de la société en difficulté. Par exemple, la perte de valeur des actions ou parts sociales, ou le solde créditeur du compte courant d’associé, constituent des préjudices qui relèvent de l’intérêt collectif et doivent être réparés dans le cadre de la procédure collective (Cass. com. 28-1-2014 n° 12-27.901 ; Cass. com. 6-3-2024 n° 22-17.398). En revanche, si ces pertes sont liées à une faute personnelle d’un tiers (comme un expert-comptable ou un dirigeant), l’associé lésé peut agir individuellement pour obtenir réparation de son préjudice personnel (Cass. com. 2-2-2022 n° 20-17.151). De même, un dirigeant social peut agir individuellement pour obtenir réparation de la perte future de ses rémunérations, car il s’agit d’un préjudice distinct de celui des autres créanciers (Cass. com. 29-9-2015 n° 13-27.587).
En somme, la distinction entre l’intérêt collectif et l’intérêt individuel est essentielle pour déterminer si un créancier, et notamment un associé, peut agir individuellement en justice. Les préjudices qui portent atteinte à la masse des créanciers doivent être réparés dans le cadre de la procédure collective, tandis que les préjudices strictement personnels peuvent faire l’objet d’une action individuelle.