Être confronté à un rejet de comptabilité par l’administration fiscale peut s’avérer déstabilisant, voire critique pour la pérennité de l’activité de l’entreprise. Cette décision, qui remet en cause le caractère probant de la comptabilité, entraine de facto une reconstitution du chiffre d’affaires par le vérificateur, avec des conséquences souvent lourdes.
Toutefois, ce scénario n’est pas une fatalité. Comprendre les mécanismes derrière ces contrôles et les mécanismes juridiques utiles pour contester efficacement cette démarche est essentiel pour défendre vos droits et garantir l’équité dans la procédure.
Cet article vous guide pas à pas dans la compréhension des enjeux liés au rejet de comptabilité et dans l’élaboration de stratégies pour répondre à cette situation avec efficacité.
I. LA RECONSTITUTION DU CHIFFRE D’AFFAIRES : CONSÉQUENCE DU MANQUEMENT DÉCLARATIF OU DU REJET DE COMPTABILITÉ
L’administration fiscale peut, sous certaines conditions, rejeter la comptabilité qui lui est présentée. La décision du vérificateur de rejeter la comptabilité de l’entreprise vérifiée est susceptible d’intervenir dans des situations variées.
1. Le défaut de déclaration fiscale
Le seul défaut de déclaration fiscale entraine de plein droit l’application de la procédure d’imposition d’office. L’application de cette procédure confère à l’administration fiscale la prérogative d’évaluer d’office la base d’imposition de l’entreprise.
Le vérificateur détermine alors unilatéralement le résultat fiscal de l’entreprise vérifiée, sans qu’il ne soit tenu de mettre en demeure le contribuable défaillant de procéder à la régularisation de sa situation par la déposition d’une déclaration.
En l’absence de déclaration fiscale, la reconstitution du chiffre d’affaires n’est donc pas subordonnée au rejet de comptabilité.
2. Le rejet de la comptabilité
La production d’une déclaration ne fait pas obstacle à un rejet de comptabilité. Ce rejet peut intervenir au cours d’une vérification de comptabilité, procédure de contrôle fiscal par laquelle l’administration fiscale s’assure de la sincérité et de la fidélité du résultat comptable vis-à-vis du résultat réellement réalisé par l’entreprise.
Le vérificateur rejette la comptabilité de l’entreprise vérifiée s’il considère que la comptabilité est dénuée de valeur probante. Le défaut de valeur probante est caractérisé lorsque la comptabilité comporte des irrégularités comptables graves et répétées.
Deux situations distinctes peuvent induire un rejet de comptabilité pour défaut de valeur probante :
- Une comptabilité irrégulière en sa forme, comportant des erreurs, omissions, ou inexactitudes graves et répétées, de nature à la rendre impropre à justifier les résultats déclarés, est systématiquement rejetée.
A titre illustratif, l’absence de documents, ou l’omission de comptabilisation des recettes, pour une partie de la période vérifiée suffit à établir son absence de valeur probante.
- La comptabilité, régulière en apparence, peut être considérée comme non probante, lorsque des présomptions précises et concordantes permettent au vérificateur d’en contester la sincérité et de soutenir que le bénéfice déclaré est inférieur au bénéfice effectivement réalisé.
3. Le moment de la survenance du rejet de comptabilité
Le rejet de comptabilité peut survenir soit dès le commencement de la vérification de comptabilité (début du contrôle fiscal pour le contribuable vérifié), soit au cours du contrôle fiscal. Le rejet entraine la reconstitution du chiffre d’affaires.
En pratique, les cas de rejet de comptabilité restent marginaux à proportion du nombre de contrôles réalisés, tant les conditions pour caractériser le défaut de valeur probante sont strictes.
II. COMMENT L’ADMINISTRATION RECONSTITUE LE CHIFFRE D’AFFAIRES ?
La reconstitution de chiffre d’affaires consiste, pour le vérificateur, à évaluer le chiffre d’affaires et les bénéfices réalisés par le contribuable au cours des exercices contrôlés. La reconstitution et les rectifications proposées portent sur l’ensemble des résultats réalisés par l’entreprise.
Le choix de la méthode de reconstitution employée par le vérificateur est laissé à sa discrétion. Les méthodes employées sont variables, selon la nature de l’activité et des indices détenus par l’administration.
Toutefois, la reconstitution doit être réalisée au regard des conditions concrètes de fonctionnement de l’entreprise vérifiée, s’appuyant sur la nature de l’activité exercée et sur les caractéristiques propres à l’exploitation, pour déterminer son bénéfice réel imposable.
La reconstitution des bénéfices ne saurait être valablement effectuée sur la base d’éléments prédéterminés ou étrangers à la gestion propre de l’entreprise vérifiée, même s’il s’agit de pourcentages indiqués par les monographies administratives ou tirés des statistiques professionnelles. De tels pourcentages peuvent toutefois conforter les résultats obtenus par d’autres méthodes.
En pratique, l’administration fiscale a fréquemment recours aux méthodes suivantes :
- Méthode du rendement du quintal de farine : reconstitution du chiffre d’affaires d’une boulangerie ou d’une pizzeria en mesurant pour une certaine période la quantité de farine utilisée et les marchandises vendues,
- Méthode matière : reconstitution du chiffre d’affaires d’un restaurant en déterminant le prix du ticket moyen multiplié par le nombre de couverts, mesuré au regard des commandes de serviettes,
- Méthode des vins : reconstitution du chiffre d’affaires d’un restaurant ou d’un bar, en appliquant aux achats de vins des coefficients appropriés afin de déduire la part prise par le vin dans les recettes issues des repas.
L’application de coefficients multiplicateurs induit évidemment une certaine approximation, laquelle est admise par la jurisprudence.
Pour contester la reconstitution du chiffre d’affaires et obtenir la décharge des rectifications proposées, il revient donc au contribuable de proposer une méthode plus convaincante, par sa précision et les justifications apportées.
III. COMMENT CONTESTER LA RECONSTITUTION DU CHIFFRE D’AFFAIRES ?
Plusieurs axes de contestation peuvent être avancés. A l’issue de la procédure de vérification, le service adresse au contribuable une proposition de rectification.
1. Délais de contestation
Le contribuable dispose d’un délai de 30 jours, à compter de la réception de la proposition de rectification, pour formuler ses observations ou faire connaître expressément son acceptation des rectifications1.
Ce délai est prorogé de trente jours sur demande du contribuable2 en cas d’application de la procédure de rectification contradictoire. L’absence de réponse dans ces délais vaut acceptation tacite des rectifications proposées.
2. Les garanties dont bénéficie le contribuable vérifié
Le résultat d’une entreprise ne peut être reconstitué que selon la procédure de rectification contradictoire, quelles que soient la nature et la gravité des irrégularités comptables commises3. La loi réserve au contribuable des droits et garanties en contrepartie des pouvoirs de vérification reconnus à l’administration fiscale :
- la durée d’une vérification de comptabilité :
La vérification de comptabilité ne peut être supérieure à 3 mois pour les entreprises de vente de marchandises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 818 000 €. Ce seuil est réduit à 247 000 € pour les entreprises de prestations de services.
La prolongation de la vérification de comptabilité au-delà de ces délais entraine la nullité de la procédure de contrôle et des rectifications consécutives.
- l’existence d’un débat oral et contradictoire entre le vérificateur et le contribuable lors de la vérification de comptabilité
- la communication des résultats du contrôle :
La proposition de rectification reçue à l’issue du contrôle indique les rectifications et rehaussements envisagés et précise les méthodes de reconstitution des bases d’imposition appliquées par le service.
- le recours hiérarchique :
Le contribuable vérifié peut saisir le supérieur hiérarchique du vérificateur dans les 30 jours qui suivent la réponse apportée par l’administration fiscale à ses observations.
Toutefois, le bénéfice de ces garanties est exclu en cas de procédure d’imposition d’office, celle-ci étant déclenchée consécutivement au défaut de production de déclaration ou d’opposition à contrôle fiscal.
3. Les moyens de contestation quant à la validité de la reconstitution du chiffre d’affaires
La contestation de la décision de rejet de la comptabilité
Il est tout d’abord possible de contester la décision de rejet de la comptabilité notifiée par l’administration. Il convient dans ce cas de démontrer la valeur probante de la comptabilité.
Cette démonstration peut s’avérer parfois périlleuse car l’administration fiscale prend en effet soin de vérifier que les conditions strictes pour caractériser le défaut de valeur probante de la comptabilité sont réunies avant de rejeter la comptabilité présentée.
La contestation des méthodes de reconstitution utilisées
Le contribuable peut contester les méthodes de reconstitution utilisées par le vérificateur :
- Par la démonstration que la méthode de reconstitution est radicalement viciée dans son principe
La reconstitution doit être réalisée au regard des conditions effectives d’exploitation de l’entreprise vérifiée.
Il résulte de la jurisprudence qu’est considérée comme radicalement viciée une reconstitution du chiffre d’affaires particulièrement imprécise que ce soit dans son principe ou ses modalités de mise en œuvre (par exemple, TA Marseille, 6ème Chambre, 20 octobre 2023, n°2104080).
Il appartient au contribuable de démontrer le caractère radicalement vicié de la méthode de reconstitution utilisée à son encontre. S’il y parvient, le Service se doit d’abandonner la totalité des rehaussements envisagés (CE, 13 juillet 1979, n°13374).
Dans une affaire récente, le Conseil d’État a retenu comme radicalement viciée la méthode dite des « cafés » car le Service n’avait pas pris en compte les cafés simples offerts dans la plupart des menus :
« Si le nombre de cafés regardés comme vendus par le vérificateur incluait les cafés vendus isolément, les cafés vendus avec des glaces, et les cafés gourmands et cafés liégeois, il ne tenait pas compte des cafés simples inclus dans le prix de la majorité des menus. M. B… est fondé à soutenir qu’en écartant le moyen tiré de que la méthode suivie pour reconstituer les recettes de cet établissement était de ce fait radicalement viciée » (CE, 3 novembre 2023, n°460520).
- Par la démonstration que la méthode est exagérément sommaire
Le Conseil d’État considère qu’est excessivement sommaire une méthode dont les résultats supposeraient de la part du contribuable un rythme d’activité professionnelle dénué de vraisemblance (CE, 30 janvier 1991, n°78716).
- Par la démonstration de l’exagération des rehaussements
La contre-expertise doit reposer sur des contre-arguments tirés des données de l’entreprise. La seule référence à des coefficients moyens observés dans le secteur professionnel, ou à des « justes prix » ou « prix normaux », pour reconstituer les recettes d’exploitation est inopérante.
La jurisprudence a admis la possibilité pour le contribuable de proposer une méthode alternative fondée sur les données chiffrées des exercices précédents, sous réserve que les conditions d’exploitation n’aient pas changé ou, si elles ont changé, qu’elles puissent être ajustées4.
Une reconstitution radicalement viciée est systématiquement sanctionnée par le juge fiscal, entrainant la décharge des rehaussements et pénalités proposés.
4. Saisine de la commission des impôts directs et taxes sur le chiffre d’affaires
Lorsque le désaccord persiste sur les rehaussements notifiés, en dépit du maintien par le service des rectifications à la suite des observations en réponse à la proposition de rectification, le contribuable peut demander la saisine de la commission départementale ou nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires.
La commission est compétente pour se prononcer uniquement sur des questions de fait. L’avis rendu par la commission est inopposable à l’administration et au contribuable.
Toutefois, la saisine et l’avis de la commission revêtent une certaine importance pratique.
D’une part, l’administration fiscale se conforme généralement à l’avis rendu bien qu’elle ne soit pas tenue de le suivre.
D’autre part, l’avis a une incidence sur la charge de la preuve. L’administration fiscale ne supportera pas la preuve du bien-fondé des rectifications lorsque le redressement est opéré conformément à l’avis de la commission et que la comptabilité du contribuable présentait des irrégularités graves5.
Enfin, l’avis de la commission favorable au contribuable constitue un élément d’une valeur significative à présenter au juge de l’impôt en cas de contestation de la procédure devant une juridiction.
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Le rejet de comptabilité et la reconstitution du chiffre d’affaires par l’administration fiscale représentent des situations complexes et potentiellement lourdes de conséquences pour une entreprise.
Toutefois, en maîtrisant les outils juridiques, en démontrant la valeur probante de votre comptabilité ou en contestant les méthodes de reconstitution, il est possible de faire valoir vos droits et d’obtenir des dégrèvements significatifs.
Face à la rigueur des contrôles fiscaux, une approche proactive est essentielle : une comptabilité rigoureuse, une préparation minutieuse à un éventuel contrôle et un accompagnement par des experts qualifiés peuvent faire toute la différence.
Le cabinet Bruzzo Dubucq se tient à vos côtés pour vous accompagner dans l’appréhension de l’ensemble des problématiques consécutives à un contrôle fiscal et à un rejet de comptabilité ainsi que pour protéger vos intérêts et faire valoir vos droits.