La vente à réméré : un outil méconnu mais performant pour restructurer les patrimoines et entreprises
Le professeur Jean Carbonnier avait pu écrire que « le progrès n’est pas linéaire et dans une marche que l’on peut considérer comme une marche en avant, il se produit des poches de régression » [1].
La formule est à reprendre concernant le mécanisme de la vente à réméré.
Loin d’être un nouvel instrument, il préfigure désormais à l’article 1659 du Code civil qui dispose que « La faculté de rachat est un pacte par lequel le vendeur se réserve de reprendre la chose vendue, moyennant la restitution du prix principal et le remboursement dont il est parlé à l’article 1673. », c’est-à-dire « non seulement le prix principal, mais encore les frais et loyaux coûts de la vente, les réparations nécessaires, et celles qui ont augmenté la valeur du fonds, jusqu’à concurrence de cette augmentation ».
D’un point de vue technique, la vente à réméré a le caractère d’une vente assortie d’une clause résolutoire en faveur du vendeur. Ce dernier a alors une sorte de pouvoir potestatif admis de déclarer la résolution de la vente.
En fait, le schéma est le suivant :
- A va vendre son bien à B, pour une durée et à un prix déterminé.
- Le pacte de réméré va prévoir également à l’avance un prix de rachat.
Ainsi l’acheteur n’est pas dépourvu de toute protection face à une condition résolutoire entre les mains du vendeur.
Cet outil est aussi bien admis dans les ventes immobilières que mobilières.
Plus couramment encore, est l’utilisation de la vente à réméré en tant qu’instrument de crédit. En effet, cela permet au vendeur d’obtenir par la vente de son bien certaines liquidités lui permettant de régler les dettes qu’il a en cours, tout en s’assurant de l’usage de son bien et d’en retrouver potentiellement son entière propriété.
Il est clair que, dans le cadre d’une entreprise en difficulté, la vente à réméré constitue un merveilleux outil pour prévenir une procédure collective, et permettre ainsi de régler les créances échues avec les sommes ainsi perçues.
Dans ce contexte de difficultés économiques conjoncturelles, on pense évidemment à conjuguer la vente à réméré avec la procédure de Conciliation prévue aux articles L611-4 à L611-12 du Code de commerce.
Le débiteur, entreprise en difficulté, va pouvoir demander la désignation d’un conciliateur au président du Tribunal de commerce (ou possiblement du Tribunal de Grande instance selon le cas). Après désignation, s’ouvre alors une période, dite de procédure de conciliation, de quatre mois, que le président du Tribunal saisi pourra proroger pour un délai global ne pouvant excéder cinq mois, et durant laquelle l’accord de conciliation va être élaboré. L’accord de conciliation ne jouera alors que s’il a été constaté ou homologué par le président dudit Tribunal avant l’expiration de ce délai.
En cas d’accord homologué en conciliation, le créancier voit son apport garanti par le privilège de new money, qui lui confère un sort très enviable en cas de défaillance postérieure de la part du débiteur, selon les dispositions de l’article L. 611-11 du code de commerce.
En bref, les entreprises qui connaissent une tension de leur trésorerie, peuvent, grâce à la vente à réméré, bénéficier du précieux « cash » qui manque, tout en pouvant racheter dans un second temps l’actif, une fois les difficultés conjoncturelles terminées.
Qui peut désormais nier qu’une vente à réméré, dans le cadre d’une conciliation, ne protège pas tant les intérêts des créanciers, que celui du débiteur, et encore celui de l’acheteur de tout ou partie des actifs ?
L’idée va donc être pour un investisseur de choisir d’acheter certains actifs de l’entreprise en question. Nous pouvons imaginer aussi bien un actif immobilier que mobilier.
Pour l’acheteur à la vente à réméré, il est clair que le paiement du prix de l’actif en question, correspondra à un apport de liquidités dans la trésorerie du débiteur vendeur.
Nous voyons alors tout l’intérêt apparaître pour l’acheteur : il réalise un investissement sécurisé en ce sens que le versement du prix va lui permettre de bénéficier de l’article L611-11 précité.
L’intérêt premier pour l’acheteur est qu’il va nécessairement payer un prix pour l’actif qui sera inférieur à celui du marché. En effet, le but pour les vendeurs est de recevoir du cash-flow mais cela pour éviter une mise en redressement judiciaire et éventuellement une liquidation.
Or dans ces deux derniers cas, les actifs de l’entreprise seront amenés à être vendus par voie judiciaire et donc à un niveau bien plus bas que celui du marché.
Mais la vente à réméré permet de se situer à un prix intermédiaire, plus haut que celui qui en ressortirait d’une vente aux enchères, et plus bas que celui du marché normal. L’intérêt n’est pas uniquement pour l’acheteur, n’oublions pas en effet que le vendeur à la fin de la période du réméré entend en général pouvoir récupérer son bien, un prix inférieur au prix fort est donc également plus avantageux pour lui.
Puisque cela va lui permettre de bénéficier du privilège offert par l’article L611-11 du Code de commerce, dans l’hypothèse, certainement assez marginale, où des vendeurs un peu trop optimistes actionneraient la clause de réméré avant d’être mis en redressement, l’acheteur serait alors un créancier privilégié. Il sera donc remboursé de son prix versé en priorité.
Mais dans l’hypothèse plus probable où s’il ne devient pas propriétaire de l’actif c’est parce que les vendeurs ont pu sortir l’entreprise de ses difficultés, ces derniers actionneront certainement la clause de réméré. Ils devront alors reverser à l’acheteur le prix initialement payé par celui-ci augmenté des frais au sens de l’article 1673 du Code civil. Autrement dit un prix augmenté de certains intérêts.
Nous sommes alors clairement face à un investissement très avantageux pour l’acheteur, car sécurisé, judicieux pour le débiteur-vendeur, qui voit ainsi s’éloigner la perspective d’un dépôt de bilan, lui permettant de le racheter dans un second temps.
Bref, la vente à réméré est incontestablement un outil aussi performant que méconnu, permettant de restructurer les patrimoines immobiliers, mais également les entreprises en difficulté.
[1] J. Carbonnier, Flexible droit, 6e éd., 1988, p. 280.