loader image
Revenir aux articles

Comment la mise en place du Brevet Unitaire Européen peut favoriser l’apparition des Patent Trolls en Europe ?

Écrit par
Publié le 01/16/2017
minutes

Qu’est-ce que les Patent Trolls ?

Les Patent Trolls sont des sociétés malveillantes qui ont profité des failles du système juridique des brevets aux Etats-Unis pour détourner leur application et en faire de véritables machines à procès.

En effet, un champ de brevetabilité extrêmement étendu, combiné avec des dommages-intérêts déraisonnables alloués par le juge américain et un pouvoir d’injonction automatique en cas de contrefaçon de brevets, ont permis l’émergence des Patent Trolls qui, en se servant de ces multiples failles, ont agressé de grandes sociétés par de nombreux procès en contrefaçon de brevets, les poussant à conclure des transactions de plusieurs millions de dollars pour des brevets minimes plutôt que de s’engager dans un procès coûteux dont l’issue est incertaine.

Les Patent Trolls fonctionnent de la manière suivante : ils achètent un nombre massif de brevets et cherchent, non pas à les exploiter, mais à en tirer profit, soit par la menace d’actions en justice pour contrefaçon de brevets, soit en obligeant les sociétés qui utilisent ces brevets sans forcément le savoir à conclure des accords de licences à un prix souvent déraisonnable.

Si le Patent Troll peut présenter un caractère immoral, par la pression et le chantage qu’il exerce sur les entreprises pour arriver à ses fins, il est cependant tout à fait légal. Etant titulaire du brevet qu’il détient, il possède la légitimité d’exercer une action en justice pour contrefaçon de brevet, peu importe qu’il se serve de cette possibilité de litige pour menacer les grandes entreprises, afin qu’elles concluent des accords de licences ou des transactions sous peine de confrontation judiciaire.

Pourquoi les Patent Trolls n’ont pas émergé en Europe ?

Si les Patent Trolls ont pu émerger et se développer aux Etats-Unis, du fait de leur système judiciaire et leur régime juridique des brevets particuliers, ils se sont beaucoup moins intéressés au marché européen.

En effet, d’un point de vue national, les Etats-Unis représentent un marché de 300 millions de consommateurs, alors que le pays le plus peuplé de l’Union Européenne est l’Allemagne, avec 82 millions d’habitants. Les dommages-intérêts estimés selon les ventes manquées et les profits perdus sont donc beaucoup moins importants. Pour que le procès soit un minimum rentable, les Patent Trolls doivent donc s’attaquer à un marché plus grand qu’une seule Nation, celui de l’Union Européenne.

Pour cela, ils ne peuvent utiliser que l’argument d’une contrefaçon d’un brevet européen. Sauf que la mise en œuvre de ce brevet est particulièrement stricte et compliquée, ce qui réduit limitativement son nombre et donc les possibilités d’action.

En effet, aujourd’hui, pour qu’un brevet soit reconnu au niveau européen devant l’Office Européen des Brevets, le titulaire doit obtenir 38 validations dans des pays parlant 29 langues différentes, ce qui entraîne des frais considérables de traduction.

De plus, les domaines de la haute technologie et des business methods, domaines favoris des Patent Trolls pour les actions en justice, ne sont pas brevetables en Union Européenne, qui a préféré utiliser une protection par le droit d’auteur plutôt que par le brevet.

Enfin, il n’existe pas d’équivalent en Union Européenne d’un pouvoir d’injonction automatique, ce qui enlève aux Patent Trolls une pression supplémentaire à exercer sur les entreprises.

De ce fait, le régime juridique européen des brevets a été beaucoup moins favorable à l’apparition et à l’expansion du phénomène des Patent Trolls. Mais cela peut actuellement être remis en cause par un nouveau système : le brevet unitaire européen.

La mise en place du Brevet Unitaire Européen : Progrès ou Danger ?

Le 25 juin 2015, les pays de l’Union Européenne, à l’exception de l’Italie, l’Espagne et la Pologne, sont parvenus à un accord afin de réduire les coûts de mise en œuvre d’un brevet européen et de mettre en place une protection automatique dans tous les pays membres participants, à travers la création du Brevet Unitaire Européen.

Ce brevet unique a deux conséquences majeures :

  • Il permet une facilité d’accès aux poursuites pour contrefaçon de brevet sur le territoire européen. Avant cet accord, le demandeur qui souhaitait exercer une action en contrefaçon d’un brevet européen était obligé de saisir une juridiction nationale qui appliquerait sa propre législation en matière de brevet. Par exemple, une action en justice pour contrefaçon d’un brevet européen en Allemagne se verrait soumises aux règles nationales allemandes. Mais grâce à cet accord, le demandeur pourra saisir une juridiction unifiée, avec la mise en place d’un tribunal de première instance européen, d’une cour d’appel européenne et d’un greffe. Il n’aura plus à comparer les différentes juridictions nationales, les délais de traitements, et les montants des dommages-intérêts accordés selon la législation nationale pour choisir laquelle lui serait le plus favorable. 
  •  Il permet également la mise en place d’une protection automatique du brevet dans tous les Etats-membres participants à l’accord, ce qui réduit considérablement les frais de traduction et de procédures. Le demandeur n’est donc plus obligé de faire reconnaître son brevet dans chaque pays, ni de traduire sa demande dans toutes les langues différentes de l’Union Européenne.

Cet accord, par la facilité qu’il permet dans le dépôt et la protection du brevet au niveau européen, a suscité de nombreuses inquiétudes, et notamment au niveau des grandes sociétés américaines comme Google, Adidas ou Microsoft. Si ces sociétés ne contestent pas le brevet unitaire européen, qui a pour objectif de favoriser l’innovation, elles craignent en revanche sa capacité de réduire l’impact négatif des Patent Trolls.

Une des contestations majeures porte sur l’article 26 de l’accord, qui prévoit le droit d’empêcher l’exploitation indirecte de l’invention à une personne autre que celle habilitée à exploiter l’invention. Les sociétés appréhendent le fait que les juridictions fassent preuve de laxisme et interprètent largement l’article, interdisant ainsi la commercialisation d’un produit pour un brevet d’une utilité minime.

De plus, elles contestent le 15ème projet de règlement qui permet la bifurcation de la procédure en contrefaçon de brevet dans deux tribunaux indépendamment compétents pour traiter d’une part les questions relatives à la validité du brevet et d’autre part les questions de contrefaçon. Ce projet introduit une procédure similaire au pouvoir d’injonction aux Etats-Unis, c’est-à-dire que la juridiction déterminant la violation du brevet pourrait statuer sur celui-ci et émettre une injonction excluant des produits du marché avant que l’autre juridiction ne statue sur la validité du brevet.

Cela signifierait, par exemple, que Samsung pourrait être interdit de vente de sa technologie utilisant le brevet contesté sur tout le territoire européen et pendant toute la durée où la juridiction statuerait sur la validité du brevet en cause. Même si celle-ci prenait une décision favorable à Samsung en l’autorisant à vendre de nouveau ses produits, la société aura perdu des millions de dollars de profits possibles.

Ainsi, si les Patent Trolls ne se sont jamais vraiment intéressés au territoire de l’Union Européenne, cela pourrait être remis en cause par la mise en place d’un Brevet Unitaire Européen, dont les contours et le fonctionnement sont encore imprécis. Ce projet, qui à l’origine devait favoriser l’innovation et faciliter la mise en place d’une protection européenne d’un brevet, peut s’avérer un véritable danger selon l’application que vont en faire les juridictions européennes.

Continuez la lecture

RFA : Guide des bonnes pratiques

RFA : Guide des bonnes pratiques

Pour une entreprise (franchiseur, tête de réseau ou encore concédant de marque), le succès de son activité ...
6 minutes