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Licence de marque & franchise : distinctions, risques et conséquences d’une requalification

Publié le 02/16/2024
6 minutes

Si la franchise implique nécessairement une licence de marque, la licence de marque – pour exister en tant que telle – ne doit pas entretenir une quelconque confusion avec la franchise. Telle est la leçon délivrée par les juridictions à certains concédants de marque qui, pensant pouvoir échapper au régime de la franchise par le simple jeu des qualifications et dénominations données à leurs contrats, ont finalement été contraints d’assumer cette qualité de franchiseur qu’ils tentaient subtilement d’éviter.

Pour rappel, la licence de marque se définit comme l’autorisation accordée par le titulaire d’une marque (le concédant) à une entreprise indépendante (le licencié) d’exploiter sa marque les produits et/ou services qu’elle désigne, à titre exclusif ou non, sur un territoire donné en contrepartie du paiement, par le licencié, d’une redevance périodique.

La franchise peut se définir quant à elle comme un système de commercialisation de produits, de services et/ou de technologies, par lequel le franchiseur accorde à ses franchisés le droit d’exploiter et de réitérer le concept qu’il a développé – et conformément aux modalités qu’il a établies – sous l’enseigne, la marque et à l’aide des signes de ralliement de la clientèle. La franchise suppose également la transmission, par le franchiseur, d’un savoir-faire secret, substantiel et identifié, soutenu par l’apport continu d’assistance commerciale et/ou technique en échange d’une contribution financière directe ou indirecte payée par le franchisé. Schématiquement, les principales différences entre la licence de marque et la franchise peuvent se résumer comme suit :

/Utilisation de la marque / enseigneContribution financièreExclusivitéAgencement spécifique des locauxTransmission d’un savoir-faireAgencement spécifique des locaux
Licence de marque✔/ ❌
Franchise✔/ ❌

Au regard des caractéristiques composant ces deux systèmes de distribution, la frontière séparant le contrat de franchise et le contrat de licence de marque reste particulièrement ténue. La question de la (re)qualification du contrat signé avec les distributeurs représente une source intarissable de contentieux et constitue un sujet majeur dont toutes les têtes de réseaux doivent s’emparer.

I. Les risques de requalification du contrat de licence de marque en contrat de franchise

Les juridictions sont fréquemment saisies par des distributeurs désireux d’obtenir la requalification de leur contrat de licence de marque en contrat de franchise. En dépit de la dénomination donnée par les parties au contrat signé – qui n’est qu’une simple indication pour le juge, non tenu par celle-ci – si l’exécution du contrat signé outrepasse la simple concession de marque et comporte les éléments du contrat de franchise, les juges n’hésitent pas à procéder à la requalification du contrat litigieux.

Telles ont été les six décisions rendues par la Cour d’appel de Grenoble le 3 mars 2022[1], qui a procédé à la requalification de six contrats intitulés « licence de marque » en contrats de franchise en jugeant que chacun d’eux impliquait bien plus qu’une simple concession de marque et présentait, dans les faits, toutes les caractéristiques d’une franchise par laquelle le « concédant/franchiseur de fait » transmettait un véritable savoir-faire à son « licencié/franchisé ».

Pour caractériser cette transmission de savoir-faire, la juridiction grenobloise a relevé plusieurs éléments de faits et notamment que :

  • Le concédant imposait à son licencié un aménagement des locaux dans le but d’assurer une uniformité parmi les membres de son réseau ;
  • Le licencié s’engageait contractuellement à assister à une formation initiale avant le lancement de son activité ainsi qu’à certaines formations permanentes dispensées par le concédant ;
  • Le concédant imposait à son licencié de respecter les méthodes de commercialisation et de vente développées par le concédant auprès de la clientèle ;
  • À s’approvisionner auprès de fournisseurs référencés et à disposer d’un « assortiment de produits suffisant ».

Si, dans les arrêts précédemment commentés, la Cour d’appel de Grenoble n’a finalement tiré aucune conséquence de cette requalification, elle pourrait toutefois avoir, dans d’autres circonstances, de sérieuses répercussions pour ce « néo-franchiseur de fait » qui, subitement, demeure soumis à des obligations plus contraignantes que celles qui lui incombaient en sa qualité de concédant.

II. Les conséquences liées à la requalification du contrat de licence en contrat de franchise

La requalification du contrat de licence en contrat de franchise a pour conséquence première d’appliquer à la relation contractuelle, dès sa naissance, le régime de la franchise. Par conséquent, le concédant est considéré comme « franchiseur de fait » dès la conclusion du contrat, et repose alors sur lui certaines obligations outrepassant très largement celles qui lui incombaient es-qualité de concédant de marque.

La requalification en contrat de franchise peut acter la carence du franchiseur de fait, et ainsi engager sa responsabilité contractuelle voire entrainer la résiliation du contrat conclu. Par exemple, repose sur le franchiseur une obligation de délivrer à son franchisé, tant au stade de la conclusion qu’en cours d’exécution du contrat, une assistance technique et commerciale dans l’exploitation de son activité[2]. En cas de requalification du contrat, le « néo-franchiseur de fait » devient alors débiteur de cette obligation d’assistance à l’égard de son franchisé et ce, dès la signature du contrat.

Or, puisqu’une telle obligation ne lui incombait pas en sa qualité de concédant de marque, le franchiseur de fait reste généralement défaillant dans l’exécution d’une telle obligation et s’expose alors aux foudres de son « licencié/franchisé », qui pourrait se prévaloir de la défaillance de son franchiseur pour obtenir des dommages-intérêts, voire réclamer la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur.

Mais également, la requalification en contrat de franchise peut, dans certaines hypothèses, entrainer par la suite sa nullité pour défaut de transmission du savoir-faire. Telle est la solution retenue par la Cour d’appel de Toulouse à l’occasion d’un arrêt rendu le 14 juin 2017[3] dans lequel elle a, dans un premier temps, procédé à la requalification du contrat de licence de marque en contrat de franchise, en considérant que celui-ci dépassait largement la simple concession de marque et que le concédant s’affichait, à plusieurs reprises et sur divers supports, comme étant à la tête d’un réseau de franchise.

Puis, dans un second temps, la juridiction toulousaine a prononcé la nullité du contrat de franchise fraichement requalifié en considérant que le franchiseur n’avait transmis aucun savoir-faire à son franchisé lors de la conclusion du contrat, et a condamné le franchiseur au paiement de diverses sommes au titre des restitutions des redevances publicitaires, droit d’entrée et frais de formation.

En somme, la conformité de la documentation contractuelle à l’exploitation réelle et effective du réseau de distribution est d’une importance capitale pour les têtes de réseaux qui, dans une pareille hypothèse, écartent significativement les risques d’une requalification et toutes les conséquences – notamment financières et réputationnelles – qui peuvent en découler.


[1] CA Grenoble, 3 mars 2022 (n°19/02810 ; 19/02809 ; 19/02702 ; 19/02807 ; 19/02796 ; 19/02704)

[2] CA Paris, pôle 5 – ch. 4, 20 déc. 2017 (n° 13/23287).

[3] CA Toulouse, 14 juin 2017 (n° 15/04182)

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