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Levons le voile sur les ICO !

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Publié le 02/27/2018
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La nature civile de la première transaction et de la revente

Il convient donc tout d’abord d’analyser les deux opérations « cadres » et inhérentes à l’ICO. En premier lieu, il y a cette première opération d’échange entre les tokens et la cryptomonnaie. On sait que l’échange de tokens trouve sa contrepartie dans la cryptomonnaie transférée du patrimoine de l’investisseur vers celui de l’entreprise à l’origine de la levée de fonds. Si la nature de la cryptomonnaie n’est pas forcément claire, il n’en reste pas moins que sa valeur sera inscrite dans le patrimoine du « leveur de fonds » et que partant de là, elle constitue une valeur réelle et non dérisoire pouvant s’analyser comme un prix. 

Les dispositions de l’article 1582 du Code civil semblent donc les plus à même de s’appliquer : « La vente est une convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer. Elle peut être faite par acte authentique ou sous seing privé. » La chose livrée serait donc le token pouvant être qualifié de bien meuble incorporel et le prix résiderait donc dans la contrepartie en cryptomonnaie. La qualification de contrat de vente pourrait donc induire les conséquences juridiques découlant de tout contrat de vente, notamment : l’obligation de délivrance conforme, la possible action en garantie des vices cachés avec toutes les problématiques que cela pourrait engendrer en cas d’action estimatoire (notamment au vu de la volatilité des cryptomonnaies) ou rédhibitoire, le transfert des risques, la potentielle présence d’une clause de réserve de propriété etc… 

Néanmoins cette qualification de contrat de vente dépend de la qualification de la cryptomonnaie comme une monnaie à part entière. Or la seule monnaie ayant cours légal en France est l’euro, ce qui exclut la cryptomonnaie du champ d’application de l’article L.111-1 du Code monétaire et financier. La qualification de monnaie électronique pourrait alors venir au secours de ce refus initial mais l’AMF et la Banque de France refusent d’admettre ce fondement. Ainsi par un raisonnement a contrario, la cryptomonnaie peut être admise comme un bien meuble incorporel et cela pourrait faire rentrer l’opération primitive token contre cryptomonnaie dans le giron du contrat d’échange défini à l’article 1702 du Code civil comme suit : « L’échange est un contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour une autre. ». Cette qualification est à l’origine de nombreuses conséquences notamment fiscales.

La deuxième opération qui consiste en la revente sur un marché dérivé des tokens acquis lors de l’ICO suit un objectif spéculatif. Cette revente se fait principalement à destination de personnes souhaitant user des biens et services de la société à l’origine de l’ICO. La spéculation sur le token peut ainsi permettre à la société émettrice d’accroitre ses capacités de financement au fur et à mesure de l’augmentation de la valeur du token sur le marché dérivé. Ici cela pourrait s’analyser comme une vente de biens ou de services en reprenant le raisonnement exposé en premier lieu. Toutefois pour garder une certaine logique, il faut aussi évoquer la possibilité qu’il s’agisse en réalité d’un échange d’un bien ou service souvent futur contre une cryptomonnaie ce qui aurait à nouveau pour corolaire l’application de l’article 1702 du Code civil.

La nature juridique du token

Les tokens ayant diverses fonctions, il convient de les analyser pour tenter de les classer dans des catégories juridiques existantes en droit français.

Le jeton-utilité confère un droit d’usage à son utilisateur sur le bien ou service offert par la start-up sans pour autant diluer le capital de la société. Ainsi le droit conféré par le token se limite à un droit de jouissance et la qualification la plus appropriée se trouve dans la jurisprudence Maison de la Poésie du 31 octobre 2012 qui a consacré un droit sui generis de jouissance spéciale en faisant fi du numerus clausus des droits réels. Le régime de ce droit reste à préciser encore aujourd’hui mais le fait qu’il découle de la liberté contractuelle colle parfaitement à la nature de l’ICO et des tokens et s’adapte aux problématiques liées aux levées de fonds. Ce droit reste limité par les dispositions d’ordre public.

Le jeton-investissement pourrait s’analyser de diverses manières. Par ce type de tokens, l’investisseur peut tirer les fruits de ses jetons par la distribution de dividendes, suite à une participation au capital de la société ou par le biais d’une augmentation de la valeur des jetons en cas de revente à des tiers. En se basant sur la pratique des affaires, on constate que de nombreuses start-up choisissent de constituer une société sous la forme de la SAS. Cette forme sociétaire basée sur la liberté contractuelle admet l’émission d’actions particulières, les actions de préférence. Ces dernières permettent d’éluder le droit de vote attaché à toute participation dans le capital d’une société avec en contrepartie, l’octroi de droits pécuniaires plus importants notamment lors de la distribution de dividendes. Ainsi l’article L228-11 du Code de commerce pourrait s’appliquer, ce dernier dispose dans son alinéa 1er : « Lors de la constitution de la société ou au cours de son existence, il peut être créé des actions de préférence, avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent. Ces droits sont définis par les statuts dans le respect des dispositions des articles L. 225-10 et L. 225-122 à L. 225-125. »  

Il pourrait également s’agir d’une offre de titres financiers eu égard à la similarité entre l’IPO et l’ICO. En effet bien que le token ne fasse pas partie des titres financiers limitativement énumérés par l’article L.211-1 I du Code monétaire et financier et son décret d’application détaillant la liste des titres financiers au D.211-1-A du même Code ;  « la directive MIFID II permet d’englober des instruments financiers, qui seraient équivalents à des titres de sociétés ou d’autres entités juridiques. Les ICO de jetons-investissement pourraient donc être soumis à la même législation que les IPO. ». Cette qualification aurait pour conséquence le respect d’obligations d’information et de publicité pour l’émetteur. La qualification d’action de préférence semble plus propice et adaptée aux besoins de célérité d’une ICO. De plus ce type d’action est fréquemment utilisé dans des opérations d’investissement pour des sociétés en croissance sans pour autant diluer le contrôle des actionnaires primitifs.

On cite aussi le token permettant un droit de vote sur les orientations futures de la société, il ne semble pas y avoir de réel débat quant à sa qualification, il s’agit d’une action ou d’une part sociale selon la forme de la société émettrice dotée des attributions classiques conférées à un associé titulaire d’un tel droit.

Enfin, le jeton-devise indexé au cours légal d’une monnaie peut être assimilé à une devise. Pour autant le régime n’est pas encore clair et cette qualification pourrait être revue. Ainsi les débats relatifs à la nature des opérations intrinsèques à une ICO sont encore vifs et le législateur pourrait intervenir au niveau européen voire international pour mettre fin à nos questionnements.

 

Visuel article ICO - Bruzzo Dubucq

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