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Marché secondaire : comprendre la règlementation inhérente aux security tokens

Publié le 09/25/2023
12 minutes

Depuis la crise de 2008 et l’apparition du bitcoin, le monde financier a vécu de profondes transformations, à tout le moins dans ses différentes pratiques. De nouveaux genres d’actifs ont vu le jour, adoptés à l’époque par une poignée d’avant-gardistes, appréhendés désormais par un plus large public. Bitcoin a renouvelé la manière de faire des affaires.

Au premier plan du développement des marchés crypto s’impose la blockchain. Elle est la source de l’économie « tokenisée ». En effet, la « tokenisation » des actifs financiers est un processus consistant à inscrire des actifs numériques, et les droits qui y sont attachés, sur un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP ou, en anglais, Distributed Ledger Technology, DLT), c’est-à-dire sur une blockchain.

Ces crypto-actifs peuvent revêtir différentes caractéristiques, ce qui permet de les organiser en deux grandes catégories : d’une part, il y a la crypto-monnaie et, d’autre part, les autres jetons. Ceux-ci peuvent à nouveau être distingués selon qu’il s’agisse :

  • D’utility tokens, ou jetons utilitaires, qui accordent un droit d’usage à leur propriétaire ; ou
  • De security tokens, ou jetons de sécurité, jetons financiers, qui s’apparentent à des titres financiers.

Les premiers, émis généralement par une ICO (Initial Coin Offering, ou offre au public de jetons), ont pour principale fonction de permettre l’accès à un service ou à un produit proposé par l’entreprise émettrice de l’ICO. Ainsi, les jetons utilitairesont, comme leur nom l’indique, une utilité, un usage spécifique.

Les seconds, émis notamment par une STO (Security Token Offering, ou offre de jetons de sécurité), représentent des actions de l’entreprise émettrice et permettent à leur propriétaire de percevoir des dividendes. Ils reproduisent des droits financiers, ou les droits politiques d’un tite financier, et sont, à ce titre, assimilables à des titres financiers.

Ces trois catégories de jetons, – « jetons monnaie », « jetons d’usage » et « jetons de sécurité » -, n’ont en réalité pas de frontières précisément définies et n’empêchent pas la création d’hybride[1].  

Ils peuvent ensuite s’échanger sur des places de marché, leur valeur étant différemment appréciée selon leur nature. La valeur des jetons de sécurité est directement liée à l’évaluation de l’entreprise qui les a émis, tandis que celle des jetons utilitaires est rattachée à la demande réelle de ces tokens.

Face à l’émergence de ces nouvelles places de marché, différentes questions, relatives notamment à la régulation, à la sécurité ou à la volatilité, se sont alors posées… et imposées. Le législateur, – d’abord français avec la loi Pacte, puis européen avec le règlement MiCA -, a encadré l’émission des jetons utilitaires tout en laissant le régime des jetons de sécurité rattaché à celui des titres financiers. Mais si le stade de l’ICO peut être appréhendé juridiquement, il n’en va pas de même pour celui de la négociation qui s’exerce soit de manière bilatérale, soit par le biais de plateformes[2].

Or, ces plateformes s’avèrent être une source d’inquiétude pour les pouvoirs publics. D’abord, différents scandales (comme la chute de Terra ou la faillite de FTX) ont fait trembler l’univers crypto mais n’ont pas, pour autant, freiné les perspectives de développement de ces marchés qui restent immenses. Ensuite, si les jetons de sécurité sont assimilés à des titres financiers, les plateformes, elles, peuvent difficilement relever du régime établi par la directive MIF2 : une telle qualification entraînerait des obligations.

En pratique, les jetons de sécurité s’échangent sur des plateformes qui ne sont pas des infrastructures de marché et qui fonctionnent avec la technologie blockchain … tout ce système baigne dans un vide juridique qui échappe au contrôle du régulateur.

Face à cette réalité, un régime pilote, porté par le règlement européen (UE) n° 2022/858 du 30 mai 2022, est entré en vigueur le 23 mars 2023[3]. Encadrant uniquement les jetons de sécurité, le régime pilote affiche comme objectif de permettre aux acteurs des marchés financiers et aux régulateurs d’expérimenter la technologie blockchain dans un cadre sécurisé, qui assure « la protection des investisseurs, l’intégrité des marchés financiers et la stabilité financière ».

Dès lors, nous pouvons nous interroger sur l’évolution de l’activité des plateformes de négociations des crypto-actifs, d’abord sous le prisme de la législation française (I), puis au regard de ce nouveau régime pilote (II).

I. Le sort du marché secondaire des jetons de sécuritéen France

Les tokens prennent une place de plus en plus importante : les ICO et STO se multiplient, les investisseurs sont toujours plus nombreux à s’intéresser au sujet et on observe pléthore d’échanges sur les plateformes dédiées (A). Face à ce constat, et dans l’élan des innovations portées par  le législateur, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) s’est penchée sur ce phénomène et a œuvré pour un encadrement de la négociation de ces actifs numériques (B).

A. L’essor des jetons de sécurité dans l’écosystème crypto

1. Quelle est la raison d’être d’un security token ?

Comme nous l’avons brièvement expliqué en introduction, un security token est une catégorie de jeton numérique émis sur une blockchain qui représente la propriété, ou une partie de la propriété, d’un actif financier tangible comme, par exemple, une entreprise ou un bien immeuble. Il s’impose ainsi comme une opportunité d’investissement mais n’apporte pas nécessairement un usage particulier à son propriétaire. Celui qui acquiert un security token le fait dans l’espoir d’effectuer une plus-value sur sa valeur. Dès lors, un security token pourrait être assimilé à un titre financier, et représenter notamment un titre de capital (une action) ou un titre de créance (une obligation).

Les avantages :

Pour l’entreprise qui les émet via une STO, les security tokens représentent un instrument très efficace pour lever des fonds auprès d’investisseurs particuliers. Les tokens ainsi générés peuvent être apparentés à des actions (ou des parts sociales) de la société et ils sont alors assortis d’un droit de vote, d’un droit aux dividendes ou encore d’un droit à l’information. « L’actionnaire », quant à lui, bénéficie d’une véritable transparence et d’une exécution automatique et immédiate des termes du contrat grâce à la technologie blockchain.

Les security tokens peuvent également être émis par l’entreprise en tant que titres obligataires. Dans ce cas, elle lève des fonds et l’investisseur devient son créancier.

Par la suite, les security tokens pourront être négociés sur des plateformes d’échanges. Les investisseurs peuvent ainsi plus facilement acheter et vendre ces actifs numériques que des actions ou obligations traditionnelles.

Les inconvénients :

L’essor du recours aux STO et à l’utilisation des security tokens rend difficile de s’y retrouver parmi l’ensemble des différents projets. Il s’avère ardu de repérer une bonne opportunité d’une arnaque ou, simplement, d’un mauvais calcul.  

2. Le jeton de sécurité assimilé à un titre financier

En raison de leur diversité de formes et leur nature numérique, la qualification de ces jetons s’est avérée une question épineuse. Si les États-Unis s’appuient sur le test de Howey pour apporter une réponse, le législateur français a choisi d’appréhender juridiquement les tokens.

Le test de Howey aux États-Unis :

Afin de savoir si une transaction doit être considérée comme securities (ou valeur mobilière), la Securities and Exchange Commission (SEC), autorité de régulation des marchés financiers des États-Unis, pratique le test de Howey. Il s’agit d’une grille d’évaluation établie par les juges de la Cour Suprême dans l’affaire SEC vs W.J. Howey Co. de 1946, qui se compose de trois éléments :

  1. Il doit y avoir un investissement d’argent,
  2. Dans une entreprise commune,
  3. Par des investisseurs qui espèrent des profits issus des efforts de la société émettrice ou de tiers.

Dès lors que ces trois critères sont remplis, la transaction doit être considérée comme une offre de valeurs mobilières.

Ce test a ainsi été appliqué à de nombreux cas impliquant des offres de crypto-actifs afin de savoir si les tokens concernés devaient être considérés comme des actions, des obligations ou d’autres types d’actifs.

L’assimilation à un titre financier en France :

En France, le législateur a choisi d’assimiler les jetons de sécurité à des titres financiers.

Qu’est-ce qu’un titre financier en droit ?

Les titres financiers constituent, à l’instar des contrats financiers, des instruments financiers. La notion d’instrument financier est primordiale en droit financier car c’est grâce à elle que peuvent être définis les marchés d’instruments financiers, les services d’investissement, les prestataires de services d’investissement et l’offre au public de titres financiers.

La loi n’énonce pas une définition générale des titres financiers mais établit une énumération. En effet, l’article L. 211-1, II du code monétaire et financier dispose qu’ils regroupent :

« 1. Les titres de capital émis par les sociétés par actions ;

2. Les titres de créance ;

3. Les parts ou actions d’organismes de placement collectif. »

Ainsi, malgré leur diversité, les titres financiers sont tous soumis à un même régime juridique : ils sont obligatoirement inscrits en compte, ils se transmettent par la voie de la négociation et ils sont susceptibles d’être nantis[4].

Face à l’émergence du phénomène crypto, la France a vite cherché à appréhender le sujet de la blockchain et ce par le biais de différentes ordonnances, notamment celle du 8 décembre 2017. La législation a été adaptée pour permettre la représentation et la transmission de certains titres financiers par le biais d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP, ou DLT en anglais)[5].

Ainsi, l’article L. 211-3 al.2 du code monétaire et financier précise que l’inscription d’un actif dans  une blockchain vaut inscription en compte-titres traditionnel. Aussi, l’article L. 211-20 VII du code monétaire et financier prévoit la possibilité d’un nantissement de titres inscrits dans un DEEP.

Ne sont visés ici que les crypto-actifs qualifiés juridiquement de titres financiers. Les autres actifs numériques (les utility tokens) sont, eux, encadrés par la loi Pacte de 2019.

Toutefois, l’ordonnance de 2017 restreint son champ d’application à certains tokens, à savoir aux titres de créance négociables, aux parts ou actions d’organismes de placement collectif, aux titres de capital émis par les sociétés par action et aux titres de créance autres que les titres de créance négociables, à la condition qu’ils ne soient pas négociés sur une plateforme de négociation.

Ainsi, les titres de capital et les titres de créance admis aux négociations sur une plateforme multilatérale de négociation sont soumis au règlement européen sur les dépositaires centraux de titres[6]. Leur inscription en compte auprès d’un dépositaire central de titres est donc exigé. S’agissant des titres cotés, une inscription exclusivement en blockchain n’est pas possible.

Dès lors, les security tokens ne peuvent pas être cotés, ce qui pose une limite importante à leur liquidité[7].

C’est dans ce contexte que l’Autorité des Marchés Financiers s’est emparée de la question et a mis en lumière le caractère restrictif du règlement européen sur les dépositaires centraux de titres pour l’écosystème crypto.

B. La position de l’Autorité des marchés financiers pour un encadrement juridique de la négociation des jetons de sécurité

En mars 2020, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a publié un rapport intitulé « État des lieux et analyse relative à l’application de la réglementation financière aux security tokens ». Elle remarque alors un ralentissement des ICO au profit des STO et recense les différents projets réalisés ou en cours de lancement.

S’agissant du marché secondaire, elle note que peu de plateformes de négociation de security tokens sont alors opérationnelles, mais de nombreux projets sont en développement dont certains portés par des grands acteurs institutionnels (comme par exemple le projet Forge de la Société Générale). Or, malgré cet intérêt croissant des acteurs pour les security tokens, peu d’autorités publiques se sont positionnées pour l’établissement d’un cadre juridique applicable.

L’AMF a donc mené une analyse pour vérifier dans quelles mesures la réglementation financière peut s’appliquer aux security tokens (qui sont, juridiquement, des instruments financiers) et elle s’intéresse notamment au domaine des marchés secondaires.

Au stade de la négociation, peu d’obstacles réglementaires s’imposent. Soit un agrément de prestataire de service d’investissement (PSI) est nécessaire, pour la fourniture de certains services d’investissement ; soit un agrément de système multilatéral de négociation (SMN) ou système organisé de négociation (OTF) doit être obtenu, dès lors qu’il s’agit d’exploiter une plateforme de négociation au sens de la directive MIF. Seules les plateformes pour lesquelles un gestionnaire est identifié peuvent bénéficier de cet agrément, ce qui exclut les plateformes de nature décentralisée.

En outre, le règlement-livraison de certains security tokens pose de plus grandes difficultés. Les tokens non cotés sont appréhendés par l’ordonnance de 2017, ce qui permet leur émission et leur transmission sur la blockchain. En revanche, pour les tokens cotés sur une plateforme de négociation au sens de MIF, la règlementation n’autorise pas le règlement-livraison entièrement sur la blockchain.

Plusieurs obstacles juridiques sont identifiés comme la nécessité d’identifier un gestionnaire de la blockchain agissant comme système de règlement de titres (ce qui exclut nécessairement le recours à des blockchain publiques), l’obligation d’intermédiation par un établissement de crédit ou une entreprise d’investissement pour que les personnes physiques puissent accéder au règlement-livraison (alors que les plateformes de crypto-actifs fonctionnent par accès direct), la reconnaissance du droit de propriété au niveau des teneurs de compte (et non pas du fait de l’inscription des security tokens dans la blockchain), ou encore l’obligation de règlement des titres en espèces, en monnaie centrale ou en monnaie commerciale (quid d’un règlement en jetons ?).

Pour pallier ces difficultés, l’AMF propose alors de créer, à l’échelle européenne, un « Laboratoire digital » permettant aux différentes autorités nationales de mettre de côté certaines exigences imposées par le droit de l’UE du fait de leur incompatibilité avec l’environnement blockchain. En contrepartie, l’entité qui bénéficierait de cette exemption ferait l’objet d’une surveillance accrue par l’autorité nationale compétente. L’AMF affirme alors qu’un tel dispositif permettrait de suspendre les obstacles règlementaires à l’émergence et au bon  développement d’infrastructure de marché de security tokens.

Cette proposition a été entendue car le 30 mai 2022 a été adopté le règlement européen (UE) 2022/858 qui crée un régime pilote permettant aux infrastructures de marché d’expérimenter la technologie blockchain.

II. Le devenir du marché secondaire des jetons de sécuritéavec la mise en œuvre du régime pilote

Le régime pilote est entré en vigueur le 23 mars 2023 pour une durée de 3 ans, éventuellement reconductible pour 3 années supplémentaires. Au terme de ces 3, ou 6, années d’expérimentation, il devrait être possible de dégager des propositions pour établir un cadre réglementaire européen adapté.

A. L’objet du régime pilote

1. Les objectifs poursuivis par le régime pilote

Le but de ce régime pilote est de permettre aux acteurs des marchés financiers et aux régulateurs d’expérimenter la technologie blockchain dans un cadre sécurisé assurant la protection des investisseurs, l’intégrité des marchés financiers et la stabilité financière. En d’autres termes, il s’agit d’élaborer un cadre règlementaire qui soutienne l’innovation au sein des infrastructures de marché tout en apportant différentes garanties qui concernent à la fois les investisseurs et les marchés financiers. Pour l’Union européenne, il s’avère primordiale de préserver la concurrence afin que le dispositif du régime pilote puisse bénéficier à la fois aux infrastructures existantes et aux nouvelles plateformes, qui devront obtenir le statut d’infrastructures de marché DLT.

2. Les actifs concernés par le régime pilote

Le régime pilote concerne uniquement les security tokens admis à la négociation ou enregistrés sur une infrastructure de marché DLT, à savoir :

  • Les actions dont l’émetteur présente une capitalisation boursière de moins de 500 millions d’euros
  • Les obligations, titres de créance ou instruments de marché monétaires dont le volume d’émission est inférieur à un milliard d’euros, sauf ceux qui incorporent un instrument dérivé ou qui présentent une structure rendant la compréhension du risque complexe pour le client et les obligations de petits émetteurs dont la capitalisation boursière n’excède pas 200 millions d’euros au moment de leur émission ;
  • Les parts et actions d’OPCVM dont la valeur de marché des actifs est inférieure à 500 millions d’euros.

En outre, afin de veiller à la stabilité financière, la valeur de marché totale de tous les instruments financiers admis à la négociation ou enregistrés au sein d’une infrastructure de marché DLT ne doit pas dépasser 6 milliards d’euros au moment de l’admission ou de l’enregistrement. Si, par la suite, cette valeur atteint 9 milliards d’euros, l’exploitant de l’infrastructure de marché DLT doit mettre en œuvre la stratégie de transition.

3. Les acteurs ciblés par le régime pilote

Le régime pilote crée un nouveau statut d’infrastructure de marché DLT, qui se divise en 3 catégories :

  • 1°/ Le système multilatéral de négociation (SMN DLT) qui admet à la négociation uniquement des instruments financiers DLT, c’est-à-dire l’entreprise d’investissement ou l’entreprise de marché ayant reçu une autorisation spécifique de la part du régulateur national compétent ;
  • 2°/ Le système de règlement DLT (SR DLT) qui règle des transactions sur des instruments financiers DLT contre paiement ou contre livraison, ce système de règlement-livraison devant être opéré par un dépositaire central de titres (DCT) ;
  • 3°/ Le système de négociation et de règlement DLT (SNR DLT), nouvel acteur autorisé à fournir les services à la fois de système multilatéral de négociation et de système de règlement de titres, mais uniquement pour les instruments financiers DLT (autrement dit, ce double statut n’est pas autorisé pour les titres classiques).

Ce nouveau statut d’infrastructure DLT n’empêchera pas les infrastructures de marché financiers traditionnelles de développer des activités et des services liés à la négociation et à la post-négociation des crypto-actifs.

En outre, pour permettre le bon développement de ces infrastructures DLT, les exploitants pourront être exemptés de certaines obligations normalement applicables aux infrastructures de marché. Ces exemptions pourront être accordées par les autorités nationales (en France, l’AMF) à la demande des acteurs concernés. Néanmoins, ces exemptions s’accompagnent de contreparties : des mesures compensatoires sont mises en place par les autorités nationales, qui peuvent s’appliquer de manière systématique ou rester optionnelles, à la discrétion de l’autorité, selon le cas spécifique de l’infrastructure qui demande l’exemption.

B. Les obligations formulées par le régime pilote

Outre les situations d’exemptions, les infrastructures de marché DLT doivent coopérer étroitement avec les autorités compétentes et l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF, ou ESMA). Elles sont également soumises à des obligations précises.

Elles doivent établir des plans d’affaires détaillés qui décrivent la fourniture de leurs services et l’exercice de leurs activités, ainsi qu’une documentation qui définit leurs règles de fonctionnement.

Elles ont l’obligation de fixer ou de documenter les règles qui s’appliquent au fonctionnement de la technologie blockchain qu’elles utilisent.

Elles sont tenues de publier, sur leur site internet, des informations claires sur leurs règles de fonctionnement, leurs services et leurs activités, ce qui comprend le type de blockchain qu’elles utilisent.

Elles veillent à ce que l’ensemble des dispositifs informatiques et de cybersécurité liés à l’utilisation de la technologie blockchain soit proportionné à la nature, à la taille et à la complexité de leurs activités. Ces dispositifs doivent garantir que leurs services et activités sont continus, transparents, fiables et sécurisés. Ils doivent également assurer l’intégrité, la sécurité et la confidentialité des données.

Elles sont dans l’obligation de séparer les actifs conservés pour le compte de tiers de ceux qu’elles détiennent pour compte propre.

Elles s’assurent que les fonds, les garanties et les instruments financiers DLT qu’elles détiennent sont protégés contre les risques d’accès non autorisé, de piratage, de dégradation, de perte, de cyberattaque, de vol, de fraude, de négligence ou encore d’autres défaillances personnelles graves. L’exploitant de l’infrastructure de marché DLT sera responsable en cas de perte, à hauteur de la valeur de l’actif perdu sauf s’il parvient à démontrer un cas de force majeure.

Elles garantissent la protection des investisseurs, elles mettent en place des mécanismes de traitement des réclamations et des procédures d’indemnisation ou de recours en cas de perte subie par un investisseur.

Enfin, elles doivent adopter une stratégie de transition en cas de basculement d’activités d’infrastructure de marché DLT vers des activités d’infrastructure de marché traditionnel. Comme nous l’avons vu plus haut, cette exigence s’impose si le seuil de la valeur de marché de tous les instruments financiers DLT admis ou enregistrés sur l’infrastructure de marché DLT dépasse la somme de 9 milliards d’euros. Cela peut également s’imposer dans le cas où une autorisation spécifique ou une exemption leur est retirée ou suspendue, ou en cas de cessation volontaire ou involontaire de leurs activités.

C. L’inscription du régime pilote dans la vision plus large du « Digital finance package »

La stratégie de l’UE pour encadrer les marchés des crypto-actifs s’étend au-delà du régime pilote. En effet, le législateur européen cherche à établir un cadre qui permet d’accompagner le développement de ces marchés, de simplifier la tokenisation des actifs financiers traditionnels et de rendre accessible le recours à la technologie blockchain afin de permettre le déploiement de la finance numérique, tout en construisant un environnement qui protège les investisseurs et la stabilité et l’intégrité des marchés.

Dès lors, pour constituer le Digital Finance Package, quatre propositions de textes avaient été présentées en septembre 2020 : trois règlements et une directive.

Le règlement sur le régime pilote est le premier de ces textes.

Le deuxième est le règlement MiCA dont l’objet est d’encadrer les crypto-actifs qui ne sont pas qualifiés de titres financiers, donc qui n’entrent pas dans le champ du régime pilote.

Le troisième est le règlement DORA, qui entrera en vigueur le 17 janvier 2025. Son domaine est plus large que les seuls marchés de crypto-actifs car il a pour objectif de permettre au secteur financier de rester résilient en cas de perturbations opérationnelles graves ou de cyberattaques.

Enfin, ce règlement DORA s’accompagne de la directive (UE) 2022/2556 qui modifie plusieurs directives, dont MIF2, et qui porte exclusivement sur les questions de résilience opérationnelle numérique[8].


[1] « La distinction des tokens et des titres financiers », Pauline Pailler, Revue de Droit bancaire et financier n°3, mai-juin 2020,  dossier 10

[2] « Quels marchés secondaires pour les security tokens ? », Pauline Pailler, Revue de Droit bancaire et financier n°2, mars-avril 2020

[3] Règlement (UE) 2022/858 du Parlement européen et du Conseil du 30  mai 2022 sur un régime pilote pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie des registres distribués, et modifiant les règlements (UE) n° 600/2014 et (UE) n° 909/2014 et la directive 2014/65/UE

[4] « Titre financier » Fiche d’orientation Dalloz, août 2022

[5] « Blockchain » Fiche d’orientation Dalloz, juin 2023

[6] Règlement (UE) n° 909/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 concernant l’amélioration du règlement de titres dans l’Union européenne et les dépositaires centraux de titres

[7] « Le règlement européen sur le Régime Pilote : l’innovation règlementaire pour les infrastructures de marché en blockchain face au défi de sa mise en œuvre », Matthieu Lucchesi et Bastien Raisse, Revue de Droit bancaire et financier n°5, septembre-octobre 2022, étude 10

[8] « Finance numérique et marchés des crypto-actifs : l’Europe en pointe ? », Julien Granotier, Revue Droit des sociétés, n° 2, février 2023

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