Florence Lustman, présidente de France Assureurs, a récemment exprimé ses inquiétudes concernant les dégâts causés par les émeutes. En effet, les dommages causés lors de la mobilisation populaire en réaction au décès de Nahel, le 27 juin dernier, ont d’ores et déjà été estimés à 1 milliard d’euros.
Selon la fédération, 55% de ces violences urbaines ont touché des biens professionnels. Au cours de ces manifestations, les commerçants ont été victimes de pillages, leurs vitrines ont été vandalisées, les bâtiments incendiés affectant lourdement leurs activités.
Alors que le gouvernement a fait appel à la bienveillance des assureurs, les sinistrés restent dubitatifs quant à leur indemnisation au regard de (I) la présomption d’exclusion légale d’indemnisation et (II) l’absence de définition précise de la notion d’émeute.
I. La réaction des assureurs pour garantir l’efficacité de la présomption d’exclusion légale
L’article L. 121-8 du Code des assurances dispose que « L’assureur ne répond pas, sauf convention contraire, des pertes et dommages occasionnés soit par la guerre étrangère, soit par la guerre civile, soit par des émeutes ou par des mouvements populaires. »
Il ressort de cet article que les dommages résultant d’actes de violence collective ne sont pas indemnisés, les sinistres résultant de tels évènements pouvant vite excéder les capacités financières des compagnies.
Toutefois, cette disposition légale permet aux parties de contourner cette présomption d’exclusion légale de garantie au moyen d’une « convention contraire ». Le contrat d’assurance étant un contrat consensuel relevant de la liberté contractuelle, les assureurs peuvent parfaitement y insérer des clauses d’exclusion de garantie.
Par conséquent, les dommages causés lors d’émeutes sont intégrés dans le champ d’application de l’article L. 121-8 du Code des assurances dès lors que le contrat le prévoit.
Sur ce point, la Cour de cassation[1] a tout d’abord considéré que la garantie n’est due que si l’exclusion légale est expressément écartée. Puis, dans un second temps[2], elle a permis qu’une simple manifestation implicite de volonté des parties puisse faire échec à l’application de l’exclusion légale. Il est donc permis aux juges du fond de déduire des stipulations du contrat leur volonté d’écarter la présomption légale d’exclusion.
La possibilité offerte aux parties d’exclure le jeu de l’exclusion légale prévue à l’article L. 121-8 du Code des assurances participe par là même à une fragilisation de la présomption légale d’exclusion. En effet, les stipulations du contrat sont soumises à interprétation et deviennent, par conséquent, équivoques.
En réaction à cette incertitude, et pour lever toute ambiguïté, les assurances prennent soin de stipuler de manière expresse leur volonté, ou non, de garantir ce type de dommage et des pertes d’exploitation qui en résultent.
Néanmoins, la charge de la preuve appartient à l’assureur et compte tenu de l’absence de définition juridique précise de la notion d’émeute, il est en pratique difficile pour l’assureur de mettre en œuvre cette exclusion.
II. Le vide juridique autour de la notion d’émeute
À ce jour, la notion d’émeute n’a fait l’objet d’aucune définition légale, et la jurisprudence est peu prolixe à ce sujet.
Or, le concept d’émeute est essentiel car il conditionne l’application ou le rejet de l’exclusion légale de garantie prévue à l’article L. 121-8 du Code des assurances.
À cet égard, l’arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 2016[3] apporte une précision intéressante. Dans cette affaire, la Cour d’appel de Pau a opéré une tentative de définition de la notion d’émeute en érigeant le critère de spontanéité comme critère unique et suffisant dès lors que l’action à l’origine du dommage était délibérée, programmée et planifiée.
La Cour de cassation prend le contre-pied de cette position, cassant et annulant l’arrêt attaqué au visa de l’article L. 121-8, alinéa 1er, du Code des assurances.
Les hauts magistrats considèrent qu’« en se déterminant par ces seuls motifs, alors que l’absence de caractère spontané ne suffit pas écarter la qualification d’émeute ou de mouvement populaire », au sens de l’article L. 121-8, alinéa 1er, du Code des assurances « auquel se réfère le contrat », la Cour d’appel n’a pas donné de base à sa décision.
La réponse de la Cour de cassation peut aisément se comprendre.
En effet, lorsqu’un évènement gagne en ampleur, il perd généralement son caractère spontané.
De plus, l’émeute a également pu être définie comme « un mouvement séditieux accompagné de violences, et dirigé contre l’autorité́ en vue d’obtenir la satisfaction de certaines revendications d’ordre politique ou social »[4].
Ou encore, comme « un tumulte parfois séditieux ou insurrectionnel, caractérisé par des bagarres ou des scènes de violences, dirigé contre une classe de la population ou certains organismes représentant l’ordre établi »[5].
Le dictionnaire Larousse définit l’émeute comme un(e) « soulèvement populaire, mouvement, agitation, explosion de violence ».
De ces éléments de définition, il est possible de déterminer trois critères majeurs de qualification qui ne font pas du critère de spontanéité le critère essentiel : un critère de masse, un critère contestataire et un critère revendicatif.
Par ailleurs, la proposition de définition de l’émeute par le Comité économique et social européen dans un avis sur le thème « Espaces urbains et violence des jeunes » reprend dans une certaine mesure ces critères majeurs[6].
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Il est ainsi prévisible que des contentieux s’élèvent prochainement entre des commerçants victimes d’émeutes et leurs assurances.
Dans ce cadre-là, la jurisprudence sur les questions précitées sera particulièrement surveillée.
[1] Cass. 2e civ, 10 septembre 2017, n°14-18297
[2] Cass. 2e civ., 23 mars 2017, no 16-10589
[3] Cass. 2e Civ., 17 nov. 2016, n° 15-24.116.
[4]Lambert-Faivre Y. et Leveneur L., Droit des assurances, 13e éd., 2011, Paris, Dal- loz, coll. précis, n° 356.
[5] Margeat H. et Favre-Rochex A., Précis de la loi sur le contrat d’assurance, 5e éd., 1971, Paris, LGDJ, n° 345.
[6] Avis du Comité économique et social européen sur le thème « Espaces urbains et violence des jeunes » (2009/C 317/06), JOUE C 317, 23 déc. 2009, p. 37, spéc. p. 38.